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Joseph Paxton, le Crystal Palace, 1851

* La lecture de l’Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes de Michel Ragon complète cette remarque dans un chapitre consacré à Hector Horeau, qualifié d’architecte “maudit” (Tome 1, p. 202-212) :
Hector Horeau avait pensé dès 1835 à un projet d’architecture métallique destiné à recouvrir un vaste espace. Il adapte ce projet en lui donnant la forme d’une gigantesque halle pour répondre au concours de l’exposition universelle de Londres. Son projet est reçu premier à l’unanimité mais c’est Paxton qui fut chargé de l’exécuter (Michel Ragon ne précise pas pourquoi). On décerne au malheureux Horeau, dont le premier projet d’architecture en verre et métal précède de seize ans le Crystal Palace, la “première médaille d’honneur” en guise de consolation. Paxton réalise le Crystal Palace en n’adoptant qu’une partie des plans de Horeau.

La version de Michel Ragon, extraite d’une histoire de l’architecture, est plus critique et plus détaillée.

« En 1850, à la veille de la première Exposition universelle à Londres, après avoir examiné les 245 projets de palais des Expositions venus de la plupart des pays du monde, le comité n’en retint aucun. Comme l’on se trouvait à neuf mois de la date fixée pour la première grande manifestation internationale du monde industriel, il paraissait impossible de réaliser le projet grandiose du prince Albert et de Henry Cole d’un bâtiment qui fût le plus vaste de l’univers. Jamais, en si peu de temps, on n’arriverait à réunir et à monter la pierre et la brique nécessaires pour construire un édifice plus grand que les plus vastes cathédrales. C’est alors que l’on eut recours à un autodidacte de génie dont le nom est devenu le symbole de la grande mutation de l’histoire de la construction : Joseph Paxton.
Joseph Paxton (1803-1865) était un jardinier, fils de paysans. À l’âge de vingt-trois ans, il devint chef jardinier du duc de Devonshire à Chatsworth. Dans le domaine du duc, le jardinier Paxton (…) passait (…) de l’horticulture à l’architecture en construisant, pour les besoins des parcs qu’il était chargé d’entretenir, des serres marquant des innovations considérables dans l’architecture habituelle de ce genre d’édifices : toits en dents de scie, gouttières faisant partie de la structure, tubes de fonte de grande portée, éléments de bois pour les structures “préfabriquées” par une machine mise au point, elle-même, par Paxton. (…)
Joseph Paxton, en sept jours et sept nuits, imagina une sorte de boîte de construction immense, avec deux éléments de base : des poteaux avec des raccords à la partie inférieure et un châssis (…) constituant le premier grand exemple de préfabrication rationnelle. Ces éléments standards (…) pouvaient de plus être démontés après l’Exposition, sans aucune destruction. Le projet de Paxton souleva un véritable enthousiasme et le comité de l’Exposition l’accepta sans réserve. La construction de ce bâtiment gigantesque fut réalisée en six mois. Il demeura pendant longtemps le prototype des palais d’expositions. Et si l’on a pu reprocher, depuis, au Crystal Palace de n’être au fond qu’une serre, plus grande que les autres, c’était méconnaître le fait que seul un constructeur de serres put alors répondre à un programme devant lequel les architectes professionnels déclaraient forfait.

Ce qui ne les empêcha pas de dénigrer l’œuvre de Paxton. Pugin, qui appelait le Crystal Palace le “Monstre de verre”, conseilla avec condescendance à Paxton de se confiner dans ses serres et de laisser l’architecture à des “experts”.
(…)
Grâce à cette standardisation, le Crystal Palace put être démonté pièce à pièce, et reconstitué sur de nouveaux plans de Paxton à Sydenham, avec deux nefs transversales supplémentaires. Il fut seulement détruit en 1936 par un incendie.
Pendant longtemps le Crystal Palace fut considéré comme l’une des merveilles du monde, en tout cas comme le chef d’œuvre de l’âge mécanique*. Il influencera considérablement les futurs pavillons des autres expositions universelles, jusqu’à la fin du siècle. Mais il n’entraînera pas une métamorphose générale de l’architecture. On l’admirera en tant que prouesse technique, mais non en tant qu’œuvre d’art. La démonstration de Paxton fut en réalité une occasion manquée, et c’est seulement presque un siècle plus tard que le monde des architectes et des industriels commencera à comprendre les innovations du jardinier du duc de Devonshire. Par de simples systèmes modulaires assemblés, Paxton arrivait à une poésie nouvelle, créait un environnement qui était l’antithèse parfaite de la surface close. Dans le Crystal Palace, les visiteurs étaient frappés du fait qu’ils ne pouvaient plus estimer les distances. L’œil se perdait dans les perspectives, sans le point de repère des murs. Pour la première fois dans une architecture, il n’y avait plus de frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Plutôt qu’une grande maison, le Crystal Palace était une sorte de système climatisateur, annonçant les dômes géodésiques de Buckminster Fuller.
(…)
Aussi grands que soient les mérites de Joseph Paxton, il serait néanmoins faux de penser que l’idée de la préfabrication lui soit apparue dans un songe. Avec le Crystal Palace, Paxton catalysa un courant et conçu une œuvre grandiose démontrant la viabilité d’une idée fort ancienne mais jusqu’alors peu, ou mal exprimée. »
Michel Ragon, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Tome 1, Points, p. 183-187.

Michel Ragon cite alors d’autres systèmes de normalisation plus anciens et situés hors d’Europe : le tatami de la maison japonaise, le pied humain de la brique égyptienne, le cube de la brique mésopotamienne, et en Europe la brique qui fut industrialisée dès le XVè siècle.

* On oublie presque toujours de préciser que le Crystal Palace était polychrome : bleu, rouge, jaune.

Dans son pourtant très épais ouvrage, World History of Design, Victor Margolin ne fait qu’évoquer le Crystal Palace, auquel il ne donne pas la place fondatrice qu’il peut avoir dans d’autres histoires du design. Dans le chapitre intitulé « Le temps des expositions : Grande-Bretagne 1830-1900 », il analyse plutôt le contexte du Crystal Palace, autrement dit, la politique qui a été menée en faveur du design en Grande-Bretagne dans la deuxième moitié du XIXè siècle ainsi que les premières théories du design et leurs acteurs majeurs.

Articles et documents liés :
Michel Ragon, La fonte et le fer.
Henry Petroski, « La “succes story” du Crystal Palace », in La conception est humaine, le rôle de l’échec dans une conception réussie (« To Engineer is Human », The role of failure in successful design).

Liens :
The Crystal Palace, or The Great Exhibition of 1851 sur Victorian Web.

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