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Gaetano Pesce, Notes sur Sit down, 1975.

Texte de l'affiche-manifeste, Cassina, Salon du meuble, Milan, septembre 1975.


« S’asseoir est devenu l’une des caractéristiques de notre époque. Jour après jour, chacun abandonne un comportement individuel pour apaiser la conscience imposée qui nous demande, plus ou moins “librement”, de faire partie du “grand nombre”.
« Cette transformation est due à l’habitude de déléguer commodément à quelqu’un d’autre les décisions sur les attitudes à prendre, et de devenir, par conséquent, une entité que nous appellerons “individus de série”.
« Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’observer, notre siècle a poursuivi, et poursuit, au nom d’une “justice facile”, l’égalité à travers la planification de toute chose, et il a pu, pour des raisons de gain, tout présenter sous l’aspect de produit.
Ainsi, bien que quelques illuminés du siècle dernier aient à l’époque dénoncé cette tendance dangereuse, nous avons réussi aujourd’hui à déformer la société, le travail, le loisir, l’information, l’expression artistique et tout autre aspect de l’existence, y compris l’individu, sous prétexte d’uniformité.
« La répression la plus sublime et cachée du consommateur s’est établie par le biais de l’idéologie du rationalisme fonctionnel, sous le couvert de motivations sociales. C’est depuis lors que, entre autres, l’architecture, l’ameublement, etc. ont été planifiés et conçus comme des produits “visant à satisfaire, disait-on, les besoins sociaux toujours plus vastes des masses”. Cela a porté à néglige – c’était d’ailleurs à prévoir – les exigences de chaque individu ou petit groupe social et, au contraire, à considérer les différents besoins comme une seule indication de la planification moyenne. Il en résulte de nos jours, de façon toujours plus marquée, une architecture de style “international”, répressive, cubique, et une production aliénante d’objets plus ou moins inutiles qui n’expriment nullement nos réalités socioculturelles si bien déterminées, à l’exception de quelques vagues notions soi disant esthétiques. En un mot, les “grands maîtres” du fonctionnalisme, saccagés par des spéculateurs sans scrupules, ont suscité la destruction de nos villes et de nos paysages. Et notre vie en a été affectée dans sa spontanéité, celle-ci n’étant remplacée que trop par tout ce qui empêche la libre autodétermination de l’individu et de son goût.
« Nous nous trouvons dans la situation absurde où nos angoisses sont souvent provoquées par la crainte de l’imprévu. Nous nous sentons la conscience tranquille lorsque chaque jour de notre existence est pareil à l’autre, lorsque nos besoins sont pareils à ceux des autres – de même pour nos pensées, nos ambitions, nos aspirations.
« Nous avons peur quand nous ne savons pas ce que nous ferons et serons dans deux, cinq, dix, cinquante ans, et nous nous contentons de nous satisfaire de ce qui a été déclaré notre rôle, selon les différentes saisons de notre existence. C’est ainsi que, en dépit des vingt malheureuses années du fascisme, nous nous plaisons dans le conformisme et craignons l’imprévu qui pourrait déranger notre “tranquillité”.
« Cependant, de petits groupes ont déjà commencé à remettre en question l’idée que notre époque – l’époque des consommations ou l’époque technologique – peut se prolonger indéfiniment et résoudre les problèmes de l’humanité.
« De mon côté, je suis convaincu que “c’est la mort qui nous rend égaux, et qu’être vivant, cela signifie être différent” ; puisque nous avons ce droit, je suis d’avis que les objets mêmes qui nous entourent dans la vie de tous les jours doivent aussi prétendre à cette prérogative. Au contraire, tout comme les Spartiates jetaient du haut du mont Taygète les individus qui ne répondaient pas aux caractéristiques physiques idéales, aujourd’hui encore, d’une façon paradoxale, l’industrie abandonne les objets ne présentant pas exactement les caractéristiques esthétiques et de conformité requises. Et l’individu qui achète un objet, croyant pourtant posséder quelque chose de personnel, est régulièrement déçu. »

Gaetano Pesce, Fauteuil, série Sit Down, 1975-1980. Mousse de polyuréthane moulé, dacron, structure de bois multiplis.
[Source : https://www.moma.org/collection/works/3314]

« Ces objets sont la conséquence de plusieurs considérations sur la technique la plus simple et sur la mousse polyuréthane employée de la façon la moins complexe pour obtenir des pièces de série individuelles, similaires mais non identiques. (Bref, il s’agit d’un carré d’étoffe rembourrée qui est fixée au périmètre sur un cadre en bois, et le tout est mis dans un moule rudimentaire pour dessiner uniquement le siège et le dossier, en laissant le reste de l’objet libre. Le polyuréthane injecté d’en dessous se gonfle librement et spontanément, sauf là où il rencontre le revers du siège, et crée une forme à chaque fois différente).
Voilà comment naît un objet qui s’oppose au message périmé du design traditionnel qui n’avait rien à faire, après tout, avec la réalité quotidienne, et n’exprimait que des règles esthétiques évasives et inutilement idéalistes. Au contraire, la réalité sur laquelle est fondée l’inspiration des pièces de la série Sit Down est celle où la libre autodétermination est possible, aux dépens de la “beauté” souhaitée par les épigones nostalgiques de Weimar et Dessau, beauté qui a longtemps causé la monotonie des aménagements d’intérieurs et le conformisme des espaces. »

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