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Pline à son cher Gallus

Pline le Jeune a vécu dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère et au début du siècle suivant.
Il est le fils adoptif de Pline l’Ancien, auteur d’une monumentale œuvre encyclopédique.
Sa correspondance constitue l'essentiel de son œuvre.


« Vous vous étonnez que j’aime tant ma propriété du Laurentin ou, si votre purisme le préfère, ma propriété des Laurentes. Vous ne vous étonnerez plus quand vous connaîtrez l’agrément de sa construction, la beauté de son site, l’étendue de sa plage. À dix-sept-mille pas de la ville, elle a trouvé une retraite telle qu’on puisse, une fois quitte de ses occupations, sans entamer ni écourter sa journée de travail, venir y passer la nuit. On a plus d’une route pour y aller, car la voie Laurentine et la voie Ostienne y conduisent toutes deux, mais la Laurentine doit être quittée à la quatorzième pierre milliaire, L’ostienne à la onzième. De part et d’autre, on rencontre alors un chemin en partie sablonneux, où les attelages avancent avec un peu de peine et de lenteur, mais pour un homme à cheval court et bon. Ici et là, des paysages variés. Par instant, les bois s’avancent et serrent de près la route, par instant elle se déroule dans de vastes prairies ; beaucoup de troupeaux de moutons, beaucoup de rassemblement de chevaux, de bœufs sont là, chassés des montagnes par l’hiver, et s’engraissent dans ces pâturages au tiède soleil du printemps.
La villa est assez grande pour être commode, d’un entretien peu coûteux. Son entrée donne sur un atrium simple, mais non sans élégance ; ensuite, une colonnade en forme de D autour d’une cour toute petite, mais charmante. l’ensemble offre un abri merveilleux pour les jours de mauvais temps, car on y est protégé par des vitres et surtout par l’avancée des toits. À son milieu s’adosse un cavedium fort gai, puis une salle à manger assez belle, en saillie sur le rivage, que les vagues, quand le vent d’Afrique soulève la mer, viennent, déjà brisées et expirantes, effleurer légèrement. Sur tout son pourtour, cette salle a des portes et des fenêtres non moins grandes que des portes et ainsi elle embrasse par ses côtés et son milieu ce qu’on pourrait appeler trois mers ; par derrière elle regarde le cavedium, la colonnade, la petite cour, la seconde partie de la colonnade, puis l’atrium, les bois, et dans le lointain, les montagnes.
Sur la gauche de cette salle à manger, un peu en retrait, est une grande chambre à coucher, puis une plus petite qui par une de ses fenêtres donne entrée au soleil levant et par l’autre retient le soleil couchant. Par cette dernière, on voit encore la mer à ses pieds, d’un peu plus loin, mais avec moins de risques. La chambre à coucher d’une part et la salle à manger de l’autre forment un angle où les rayons les plus directs du soleil s’accumulent et se concentrent. Ce sont les quartiers d’hiver, c’est aussi le gymnase de mes sens ; en cet endroit tous les vents se taisent, exceptés ceux qui amènent les nuages et voilent le ciel, mais laissent l’endroit praticable. À cet angle est jointe une chambre terminée par une courbe en forme d’arc qui offre successivement au soleil toutes ses fenêtres. Dans un de ses murs est pratiqué un buffet, manière de bibliothèque qui renferme des ouvrages destinés non à la lecture, mais à l’étude. À côté se trouve une pièce où l’on peut coucher, séparée de la précédente par un passage surélevé et traversé de conduits qui recueillent la chaleur et en la réglant la dirigent et la distribuent en divers endroits. le reste de ce côté du bâtiment contient les pièces réservées aux esclaves et aux affranchis, presque toutes si bien arrangées qu’elles peuvent recevoir des hôtes.
De l’autre côté du corps central est une chambre élégamment décorée, puis ce que j’appellerais une grande chambre à coucher ou une petite salle à manger, radieuse de l’éclat du soleil, de l’éclat de la mer ; à la suite est une chambre munie munie d’une antichambre, bonne en été grâce à son élévation, en hiver grâce à ce qui l’entoure, car elle est défendue contre tous les vents. Avec cette chambre, une autre, munie aussi d’une antichambre, a une paroi mitoyenne. Ensuite, la salle des bains froids, grande et spacieuse, dont les deux murs se faisant face projettent – c’est le mot – deux baignoires à contours arrondis, qu’on trouve singulièrement grandes en pensant que la mer est toute proche. À côté est le cabinet de toilette, la chambre de chauffage, à côté l’étuve du bain, puis deux chambres, d’une décoration exquise mais simple. À ces locaux touche une piscine d’eau chaude merveilleuse dans laquelle on peut nager en regardant la mer, et tout proche le jeu de paume s’offre au soleil du gros de l’été vers le déclin du jour. En cet endroit s’élève une tourelle ayant en bas deux chambres, en son milieu deux autres, et enfin une salle pour les repas du soir ; elle a vue sur une grande étendue de mer, une longue bande de rivage et des villas délicieuses. Il y a aussi une autre tourelle. Dans cette tourelle une chambre voit se lever et se coucher le soleil ; au dessous, un vaste magasin et une chambre à provisions ; au rez-de-chaussée, une salle à manger où n’arrive, même quand lamer est démontée, que le retentissement de sa colère, assourdi déjà et s’évanouissant ; elle donne sur le jardin et sur l’allée destinée aux litières qui encadre le jardin. Cette allée est bordée de buis et de romarin là où le buis ne réussit pas (car le buis, dans les endroits où le toit le protège, a une belle verdure ; mais à ciel découvert et en plein vent, le rejaillissement de l’eau de mer, de si loin qu’il vienne, le fait sécher). Contre cette allée et entourée par elle est un berceau de vigne encore jeune et donnant de l’ombre au sol doux et élastique même sous les pieds nus. Le jardin est couvert d’une abondance de mûriers et de figuiers, arbres auxquels ce terrain là est spécialement favorable, tandis qu’il ne vaut rien pour les autres. Voilà la vue, valant celle de la mer, dont jouit cette salle éloignée de la mer. Par derrière lui sont accolées deux chambres dont les fenêtres dominent le vestibule de la villa et un autre jardin, le potager.
À partir de ce corps de logis se développe une galerie voûtée qu’on prendrait pour un monument public. Sur les deux faces, des fenêtres, plus nombreuses sur la mer, sur le jardin se faisant face mais moins nombreuse que vis-à-vis. Ces fenêtres s’ouvrent sans inconvénient des deux côtés par temps beau et calmes ; si à droite ou à gauche le ciel est troublé par les vents, du côté où ils ne soufflent pas. Devant cette galerie, une terrasse parfumée de violettes ; les rayons du soleil s’y déversent et sont multipliés par la réflexion de la galerie qui conserve la chaleur tout en arrêtant et en détournant le vent du nord. Il fait donc aussi chaud devant la galerie que frais derrière ; elle s’oppose également au vent d’Afrique, les deux souffles les plus contraires se trouvant ainsi, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, arrêtés et anéantis. Tel est son agrément en hiver ; il est encore plus grand en été. Car avant l’heure de midi, la terrasse, après cette heure, la partie voisine de l’allée des litières et du jardin jouissent de son ombre qui les rafraîchit et, suivant que le jour croît ou décroît, s’allonge puis se raccourcit d’abord à droite, puis à gauche. Quant à la galerie, il n’y pénètre pas du tout de soleil à l’heure où l’astre, dans sa plus grande ardeur, est au-dessus de son toit. Et puis ses fenêtres ouvertes laissent entrer et sortir la brise et jamais on n’y respire d’air lourd et confiné.
Au bout de la terrasse, puis de la galerie, du jardin, est un pavillon, délices de mon cœur, oui bien, délices de mon cœur. C’est moi qui l’ai mis là. On y trouve une étuve solaire, ayant vue d’un côté sur la terrasse, de l’autre sur la mer, des deux sur l’astre lumineux ; une chambre à coucher donnant par une double porte sur la colonnade et par une fenêtre sur la mer. Le milieu d’une des parois est occupé par une alcôve qui s’y enfonce d’une manière charmante ; au moyen de vitres et de rideaux s’ouvrant et se fermant, on peut à volonté la réunir à la chambre ou l’en séparer. Elle renferme un lit et deux chaises. Étendu là on a à ses pieds la mer, derrière soi des villas, à sa tête des bois ; ces diverses vues vous sont présentées à la fois séparément et toutes ensemble par un même nombre de fenêtres. À côté est une chambre pour la nuit et le sommeil. Ce lieu ne perçoit ni les voix des esclaves, ni le grondement de la mer, ni l’ébranlement des tempêtes, ni la lueur des éclairs, pas même la lumière du jour, sauf quand les fenêtres sont ouvertes. La profondeur de cette retraite et de cet isolement s’explique par l’existence d’un corridor entre le mur de la chambre et celui du jardin, aussi les bruits viennent-ils expirer dans le vide des parois. Contre cette chambre est une toute petite pièce de chauffage, ayant une bouche étroite par laquelle la chaleur venue d’en bas est réglée, tantôt déversée, tantôt retenue. Puis une antichambre et une chambre à coucher, s’avançant à la rencontre du soleil, l’accueille dès son lever et au delà de midi ne le conserve plus qu’avec des rayons obliques, mais enfin le conserve. Quand il m’a plus de me retirer dans ce pavillon, il me semble que je suis loin même de chez moi, et j’en goûte l’agrément surtout en temps de Saturnales, alors que tout le reste de l’habitation résonne de ces folies de ces journées et cris de joies. Ainsi je ne gêne pas les plaisirs de mes gens et eux ne gênent pas mes études.
À ces avantages, à ces agréments, il manque malheureusement de l’eau courante, mais il existe des puits, je devrais dire des sources, car les nappes se trouvent près de la surface. Et à tout prendre ce rivage est étonnamment favorisé. En quelque endroit qu’on creuse la terre, l’eau vient toute prête à votre rencontre, et s’offre pure et nullement altérée par le voisinage si rapproché de la mer.
On trouve le bois en abondance dans les forêts voisines ; quand au reste, la ville d’Ostie le fournit. Même à qui n’a pas de grands besoins suffit le bourg, dont une seule propriété me sépare. Il s’y trouve trois bains publics, ressource précieuse si par hasard le chauffage d’un bain à la maison est déconseillé par le fait d’une arrivée imprévue ou du manque de temps.
Le rivage est orné d’une façon aussi varié qu’agréable par la suite tantôt continue, tantôt interrompue des toits des villas qu’on prendrait pour une série de villes, qu’on les voie de la mer ou du rivage. Ce dernier cède parfois sous le pied après un long calme, mais d’ordinaire les vagues qui se succèdent en tout sens en durcissent le sol. La mer fournit, il est vrai, peu de poissons estimés, cependant elle apporte des soles et d’excellents coquillages. Quant à ma villa, elle ajoute à tout cela les ressources de la terre, à commencer par le lait, car c’est autour d’elle que, revenant des pâturages, se groupent les troupeaux à la recherche de l’eau et de l’ombre.
Ne trouvez-vous pas maintenant que j’ai de bonnes raisons pour l’être établi dans cette retraite, m’y tenir habituellement, y faire mes délices ? Vous êtes un citadin endurci si elle ne vous fait pas envie, pour qu’outre tant de si grands charmes ma petite villa revête encore à mes yeux le mérite vous avoir sous son toit. Adieu. »

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