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Superstudio

Groupe d’architecture radicale fondé en 1966 par Adolfo Natalini (1941-2020) et Cristiano Toraldo di Francia (1941-2019) rejoints plus tard par Gian Piero Frassinelli (1939), Roberto (1935-2003) et Alessandro Magris (1941-2010) et Alessandro Poli (1941), que Gabriele Mastrigli qualifie de « regroupement hétérogène » (Natalini est peintre, Cristiano Toraldo di Francia est photographe et abordent l’architecture depuis des positions idéologiques assez éloignées ; Roberto Magris est “lié à un savoir-faire professionnel solide et autonome” — restauration de monuments historiques et rénovation d’ensembles d’habitation et de centres commerciaux — Gian Piero Frassinelli s’intéresse à l’anthropologie).
Mais tous ses membres n’agissent pas comme un seul homme, ne sont pas tous impliqués ou convaincus de la manière dans les différents projets. Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo di Francia sont par exemple à l’origine du Monument Continu, (pour lequel es autres membres du studio travaillent sur les aspects techniques car les photomontages, les dessins, sont des travaux longs et compliqués avec les moyens techniques dont ils disposaient) alors que Gian Piero Frassinelli est l’auteur des Douze villes idéales.

L’idée n’est pas d’attribuer un auteur à un projet, cela n’a aucun sens mais permet d’expliquer l’hétérogénéité des images, des langages et des projets du groupe.

Bibliographie

Gianni Pettena, Superstudio, 1966-1982: Storie, figure, architettura, Catalogue d’exposition, Galeria Accademia, Florence, Electa, 1983.
Peter Lang, William Menking, Superstudio, Life without objects, Catalogue d’exposition, London Design Museum, 2003, Skira, 2005. (Anglais)
Gabriele Mastrigli, Superstudio. Opere 1966-1978, Quodlibet, 2017 (en Italien).
Roberto Gargiani, Béatrice Lamparielo, Le Monument continu de Superstudio, Édition B2, 2019.
Abdelkader Damani (dir.), Superstudio, La Vie après l’architecture, Lienart / Frac Centre Val de Loire, 2019.
Gabriele Mastrigli (propos recueillis par), Adolfo Natalini, Cristiano Toraldo di Francia, Gian Piero Frasselini, La vie secrète de Superstudio, Édition B2, 2020.
Emmanuelle Chiappone Piriou (dir.), Beatrice Lampariello, Gabriele Mastrigli, Frédéric Migayrou, Superstudio Migrazioni, Catalogue d’exposition, CIVA, Verlag der Buchhandlung Walther, Franz König, 2020.

Critique du modernisme
Ambiguïté / Ambivalence
Images + textes : affiches illustrées (les textes précèdent parfois les images — Les Douzes villes idéales — ou l’inverse — Les actes fondamentaux).
Influences littéraires et cinématographiques
Physique et philosophie (Cristiano Toraldo di Francia), anthropologie (Gian Piero Frassinelli), science fiction (Urania), Federico Garcia Lorca, Cesare Pavese, Italo Calvino, Carlo Emilio Gadda (Adolfo Natalini).
2001 : L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) — références perceptibles dans le story board du Monument Continu, cinéma engagé et d’avant-garde (Eisenstein)

Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo di Francia étaient très intéressés par la technologie. Scientific American a fait partie des lectures qui nourrissait leur intérêt et leur fascination pour l’architecture interplanétaire, les premiers ordinateurs ou le développement d’Arpanet.
Les visionnaires sont avant-tout curieux et bien informés.

Le pop art et l’angleterre (Adolfo Natalini)

« Au sein de Superstudio, nous avions une sorte de “trouble bipolaire de la personnalité”, grâce auquel nous nous passionnions pour un sujet tout autant qu’à son exact opposé. Par exemple, au début, au sein de Superstudio, il y avait un double intérêt pour la symbolique et la technologie ; et pourtant, le Monument Continu est justement né de la superposition de ces deux idées.
L’artifice rhétorique auquel nous recourrions était la dystopie, l’utopie négative : cela consistait à développer un modèle rationnel jusqu’à ses conséquences extrêmes, afin de démontrer son absurdité la plus absolue. De cette manière, nous entendions critiquer la confiance aveugle et totale qui se voyait placée tout aussi bien dans la représentation monumentale que dans la technologie.
[…]
Au fil du temps, notre travail conservera toujours cette bipolarité. Celle entre la technologie et le monumentalisme ne fut que la première : vint ensuite l’opposition entre rationalité et irrationalité. Au fond, si l’on fait une lecture purement formelle du travail de Superstudio, on y distingue une évidence matrice surréaliste – de même que chez Rem Koolhaas et toutes les avant-gardes qui jouent sur le dépaysement et le changement d’échelle. Si d’un côté s’imposait donc une tendance vers une perspective proprement surréaliste, de l’autre, il y avait une dimension liée à l’hyper-rationalité : le catalogue, la liste, la grille étaient tous des éléments pour mesurer et ordonner une réalité qui nous paraissait difficilement maîtrisable. »
Adolfo Natalini, La vie secrète de Superstudio, p. 36-38.


Adolfo Natalini
[http://www.nataliniarchitetti.com]
Cristiano Toraldo di Francia
[https://www.cristianotoraldodifrancia.it]
Gian Piero Frassinelli
La Maison des 4 vents, Amsterdam, 1982-1990 [https://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/frassinelli-gian-piero-58.html?authID=435]
Design e antropologia. Riflessioni di un non addetto ai lavori, (Design et anthropologie, Reflexions d’un non-spécialiste) Quodlibet Edizioni, 2019
Alessandro Poli
[https://www.cca.qc.ca/en/archives/408095/alessandro-poli-fonds]

Superstudio voit le jour dans un contexte politique agité et contestataire. La Faculté d’Architecture de Florence / mouvement étudiant. Les membres de Superstudio s’éloignent finalement assez vite de cette ambiance.

L’inondation de Florence

« Toutefois, pour nous, l’inondation signifiait aussi métonymiquement la “fin de la rationalité”. L’irrationnel boueux avait pénétré à l’intérieur de cette ville rigoureuse, géométrique, parfaite, et l’avait complètement bouleversée, en remplaçant marbres et pierres par un sol liquide, que lequel affleuraient les monuments isolés. Les très nombreux jeunes qu’on appelait les “anges de la gadoue”, accourus de partout dans le monde pour sauver les livres et la ville elle-même, assistaient, en un certain sens, les témoins de la fin du projet des Lumières, comme de la foi dans le Progrès et la rationalité, mais représentaient aussi l’espoir d’un avenir différent.»
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 95.

Superarchitettura

Superarchitettura (4-17 décembre 1966, Galerie Jolly 2, Pistoia) est l’exposition qui va donner au groupe, le lieu, le contexte et l’opportunité de se former. Une deuxième exposition aura lieu (19 mars-12 avril 1967, Galeria della sala di cultura, Modena).

Affiche de l'exposition

« Les mythes sociétaux prennent forme dans les images que la société produit. Les nouveaux objets sont à la fois des choses et des images de ces choses. » (Extrait du manifeste de l’exposition).
Lire cette phrase permet de mieux comprendre ce que l’on voit dans les images de l’exposition. Des objets qui fonctionnent comme des images à défaut d’être utilisables, en carton outrageusement coloré et surchargés de références aux images de la culture pop.
Il n’est également pas inutile de savoir ici, qu’à l’origine, l’exposition avait été proposée seulement à Adolfo Natalini, pour qu’il expose son travail de peinture.

« L’exposition “Superarchitecture” de Pistoia a finalement été inaugurée exactement un mois après l’inondation. […] C’était une exposition d’art plutôt particulière : d’abord, ce n’était que de l’art auto-produit, conçu, construit et peint par nous seuls ; l’ensemble préfigurait en outre des intérieurs très sensuels et colorés, semblables à ceux que nous avions commencé à concevoir dans nos parcours universitaires, et vers lesquels nous voulions continuer à travailler.
Les objets devaient entrer tels des chevaux de Troie dans les maisons endormies de la bourgeoisie florentine et italienne, afin de déclencher le même choc qu’avait provoqué chez nous la vision de l’eau à l’intérieur des monuments florentins. Exactement comme cela s’était passé pour l’inondation, nos objets devaient amener à l’intérieur de l’univers traditionnaliste — ici l’habitat — une nouvelle esthétique. Cette dernière n’était nullement le fruit du hasard, mais venait d’une vision absolument réaliste de la marchandise et de ses codes, libérés quelques années auparavant par le Pop Art : des graphismes géniaux, de nouvelles couleurs et des matériaux alternatifs. Même s’il ne s’agissait pas de véritables objets, mais seulement de prototypes à l’échelle 1/1, nous voulions mettre en avant une nouvelle manière de vivre à l’intérieur de nos habitations. »
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 97.

Certaines pièces exposées dans ces expositions intéressent des industriels innovants (Poltronova) et trouvent, de manière un peu désinvolte, un statut de lampe ou de canapé.

« Nous [avec Archizoom] avons aménagé dans les soubassements du Palais Strozzi un espace plutôt inquiétant : un grand salon entièrement cerné par une série de toiles de polyéthylène transparent, qu’éclairaient de faibles lumières bleues. On avait l’impression d’être dans un grand préservatif. À l’intérieur de cet espace était disposée une série de meubles anciens et modernes, mais nous avions conçu les aménagements modernes de manière à ce qu’ils paraissent anciens, et nous avions choisis les anciens de manière à ce qu’ils paraissent modernes.
Étaient donc exposés sans solution de continuité un lit de Pauline Bonaparte or et vert et notre série Louxor, un peu mortuaire, revêtue de loupe de noyer. Dans la pénombre de cette lumière bleutée ressortait une peau de tigre, que nous avions trouvée à Londres dans une poubelle. Je l’ai utilisée plus tard dans le célèbre photomontage : Aménager les déserts. Quoi qu’il en soit, le showroom a obtenu un grand succès.
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 109-110.

UN VOYAGE DANS LES RÉGIONS DE LA RAISON

LA SURFACE BLANCHE QUADRILLÉE

Une profonde rupture est visible entre la surface mutique des histogrammes et l’univers exubérant de superarchittetura. Cristiano Toraldo di Francia la compare de manière analogue à la réaction au Pop Art qu’a constitué le minimalisme ou l’Arte povera.

Gabriele Mastrigli : « synthétiser les dialectiques extrêmes et à jamais irrésolues de la modernité : classicisme et avant-garde, rigueur et choc, tradition et trasngression, passé et futur. Mais plus que tout, la surface tramée, dans toutes les déclinaisons — des mégastructures aux villas, jusqu’aux objets d’ameublement — se révèle un dispositif capable de représenter le projet comme excédant le design. Certes sans le contester, mais en poussant simplement sa logique interne jusqu’à ses ultimes conséquences : en montrant comment sa rationalité — tout aussi bien formelle qu’économique — offre l’autre versant de son profond arbitraire. » (La vie secrète de Superstudio, p.12)

HISTOGRAMMES D’ARCHITECTURE

« En disant que notre tentative est aussi de supprimer les paramètres qualitatifs ou esthétiques
des structures d’habitation, nous entendons affirmer une chose d’une importance fondamentale : le problème n’est pas la forme de la maison du futur, mais “l’usage de la maison”.
Une nouvelle architecture ne peut pas naître d’un simple acte de planification, mais de modifications de l’usage que l’individu peut faire de son environnement. Plus cet environnement a ses propres connotations culturelles et linguistiques, plus son libre usage reste empêché; plus l’individu est contraint de se déplacer dans un milieu culturel déjà codifié et plus il renoncera à l’usage de ses propres facultés créatrices, déjà profondément
atrophiées par son destin de producteur (et non de créateur).»

« C’était un peu comme le cahier à carreaux sur lequel chacun gribouille, colorie, écrit et fait ce qu’il veut. »
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 124.

MISURA

Les images et les exercices de pensée qui constituent la majeure partie du travail de Superstudio qui nous est habituellement donnée à voir, ne nous laissent pas facilement imaginer que ses designers se posent aussi des questions liées à la fabrication et à leur production de leurs pièces. Ce n’est pas là que l’accent est mis mais c’est pourtant évidemment le cas, notamment pour la série Misura. Dans La vie secrète de Superstudio, Adolfo Natalini raconte par exemple que le groupe s’est tourné vers l’Institut Géographique Militaire pour pouvoir dessiner leur trame quadrillée sur du stratifié avec des lignes très fines et très précises. Cela n’a pas fonctionné car le procédé aurait été trop cher alors que “personne ne pensait vendre les histogrammes”. Ils se tournent alors vers la sérigraphie et travaillent avec la société Abet Laminati, spécialisée dans l’impression de décors en stratifié, dont l’histoire est intimement mêlée à celle des avant-gardes du design italien. Leur problème avec le stratifié est que, quelle que soit sa couleur, les arrêtes découpées sont toujours noires. Ils conçoivent alors des meubles en adaptant la dimension du quadrillage pour camoufler le chanfreinage des bords.

« […] de même que les grilles des plans militaires localisaient l’ensemble des coordonnées terrestres, de même notre grille “racontait” la Terre. »
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 128.

CATALOGO DI VILLE

MONUMENT CONTINU : Un modèle architectural d’urbanisation globale (mars-décembre 1969).

Forme qui synthétise à elle-seule l’architecture radicale, l’expression de la critique de la jeunesse des années 60 à l’égard du Mouvement Moderne.

[…] si chaque carré mesure trois centimètre de côté, les Histogrammes peuvent devenir des objets ; s’il est de trois mètres, des architectures ; et s’il est de trente mètres, un Monument continu ! »
Cristiano Toraldo di Francia, La vie secrète de Superstudio, p. 124.

Cette forme apparaît dès mars 1969 dans les carnets personnels d’Adolfo Natalini. Elle trouve son expression définitive dans le travail réalisé par Superstudio pour la Biennale trinationale de Graz, Trigon 69 (4 octobre – 5 novembre) qui a pour thème “Architecture et liberté”, mais ne trouvera son nom qu’en décembre 1969 lorsqu’il est publié dans Domus.

Croquis d’étude, 19 mars 1969
Il muro di Firenze. Restauro dopo il Poggi (Le Mur de Florence. Restauration d’après Poggi), avril 1969.

Italian Jugoslawien Osterreich Dreiländerbiennale Trigon’69 : Architektur und Freiheit, Künstlerhaus Graz Burgring, 4. Oktober bis 15. November 1969 (catalogue disponible en France à la Bibliothèque Kandinsky)

Le programme de la biennale de Trigon en 1969, dont le thème est “Architecture et liberté” influence considérablement l’élaboration du projet.
La “liberté” devient la finalité essentielle de l’architecture de l’après 68.

« Les participants devront aborder les modalités et la portée de la liberté que l’architecture du futur peut apporter tant à l’individu qu’à la société, ainsi que les limites que l’architecture impose à cette liberté […]. Les projets devront correspondre au possible et probable développement de notre civilisation jusqu’à l’an 2000 […]. À travers une utopie restreinte du futur, l’ensemble des propositions aura pour but de tirer des préceptes en vue d’une action responsable dans le présent immédiat »

Texte extrait de « Superstudio: lettera da Graz. Una mostra sul tema: Architettura e Libertà. Trigon ’69 » in Domus, Déc. 1969, n°481, p.49-54, cité par Roberto Gargiani & Béatrice Lampariello dans Le Monument Continu de Superstudio, p. 10.

Carte postale où l’on voit le Monument Continu traverser le Schlossberg. Constraste avec la vieille ville médiévale, référence à Florence.

La “liberté” est délibérément difficile à lire dans ce monolithe mutique, qui prend la forme contradictoire d’un mur. C’est une liberté abstraite, qui fait référence à celle que prend Malévitch pour se libérer de l’objectivité avec son Carré noir sur fond blanc.

Influences.

Le Corbusier, Plan Obus, Alger, 1930 (image Fondation Le corbusier).

À propos du Plan Obus, voici ci-dessous un extrait d’un texte de Manfredo Tafuri, cité plus largement (et pour d’autres raisons) par le Laboratoire d’Urbanisme Insurrectionnel, “La Crise de l’utopie : Le Corbusier à Alger”, chapitre extrait de Projet et Utopie, Architecture et développement capitaliste paru en 1973 aux éditions Laterza. Manfredo Tafuri est un critique de l’architecture moderne connu pour la rigueur et l’acuité de ses analyses mais aussi pour sa ténacité à avoir formulé une histoire de l’architecture moderne dans son contexte politique, contre toute revendication d’autonomie critique ne reposant que sur des critères esthétiques ou stylistiques, et sur lequel repose les termes d’une réflexion concernant les contradictions qui mènent à son achèvement.
C’est pour cette raison sans doute, que le texte qui suit résonne aussi bien avec le Monument Continu de Superstudio et en éclaire, par l’effet ressenti de son influence, aussi magistralement la compréhension.

Manfredo Tafuri est aussi l’un des critiques les plus virulents de l’architecture radicale…

« De 1929 à 1931, avec les plans expérimentaux pour Montevideo, Buenos Aires, Sao Paulo, Rio, qui conduisent au plan expérimental Obus pour Alger, Le Corbusier formule l’hypothèse théorique la plus achevée de l’urbanisme moderne, hypothèse qui n’a pas encore été dépassée, ni sur le plan idéologique, ni sur le plan formel. [2]

[2]. Ce n’est pas évidemment ici la place pour le faire, mais il serait nécessaire d’articuler et d’enrichir le processus accompli par Le Corbusier, et que nous n’avons esquissé que par trop synthétiquement. L’étude de Brian Taylor sur les documents des archives Le Corbusier à Paris, relatifs aux projets et à l’exécution de l’ensemble de Pessac et à de précédentes études pour des habitations ouvrières, constitue le début d’un nouveau courant d’études, destiné à revoir radicalement les jugements acquis sur Le Corbusier en tant qu’urbaniste.

À l’inverse de ce que Bruno Taut, Ernst May ou Walter Gropius réalisent, il brise la séquence continue architecture/quartier/ville : la structure urbaine en tant que telle, comme unité physique et fonctionnelle, est l’expression d’une nouvelle échelle de valeurs, et c’est dans la dimension même du paysage qu’il faut chercher la signification de ce qu’elle communique.
À Alger, la vieille Kasbah, les collines de Fort-l’Empereur, la courbe formée par la baie, sont des matériaux bruts disponibles que Le Corbusier considère comme de véritables ready-made à échelle gigantesque ; la nouvelle structure qui les détermine bouleverse leur signification originelle et leur confère une unité qu’ils n’avaient pas auparavant. Mais au plus grand déterminisme doit correspondre un maximum de liberté et de flexibilité. Le présupposé économique de toute l’opération est très claire : le plan Obus ne se contente pas, en effet, d’exprimer la nécessite d’un nouveau « statut du sol » qui mettrait fin à l’anarchie paléo-capitaliste de l’accumulation foncière et qui rendrait la totalité du sol disponible pour une réorganisation unitaire et organique de la ville qui transformerait réellement celle-ci en système urbain [3].

[3]. Sur l’expérience de Le Cobusier à Alger, il est nécessaire de faire encore des recherches. Voir pourtant le chapitre consacré à l’urbanisme de Le Corbusier dans le livre de Giorgio Piccinato, L’Architettura contenporanea in Francia, 1965.

L’objet industriel ne présuppose aucune situation univoque dans l’espace, car la production en série implique au départ le dépassement radical de toute hiérarchie spatiale. L’univers technologique, comme l’avaient déjà compris les cubistes, les futuristes et les élémentaristes, ignore l’ici et le  : c’est tout le milieu humain – comme simple champ topologique – qui est le lieu naturel de ses opérations. Pour réorganiser la ville, la disponibilité totale du sol n’est plus suffisante ; maintenant, c’est l’intégralité de l’espace, dans ses trois dimensions, qu’il faut rendre disponible. Et il va falloir distinguer à l’intérieur de l’unité-ville deux échelles d’intervention, correspondant aux cycles de la production et de la consommation.
La restructuration de la totalité de l’espace urbain et paysager répond à la nécessité de rationaliser l’organisation globale de la machine urbaine. À cette échelle d’intervention, les structures technologiques et les réseaux de communication doivent être en mesure de constituer une « image » unitaire où l’anti-naturalisme des terrains artificiels, disposés à des hauteurs différentes, et le caractère exceptionnel du réseau de communication, constitué par l’autoroute qui parcourt le dernier niveau de l’immeuble courbe destiné aux logements sociaux, peuvent se charger d’une signification symbolique. La liberté formelle des blocs d’habitation de Fort-l’Empereur intègre les valences emblématiques de l’avant-garde surréaliste ; les édifices incurvés constituent d’énormes objets architecturaux qui miment de façon abstraite une sorte de « danse des contradictions » sublimée à la manière des formes libres contenues dans la Villa Savoye, ou des assemblages ironiques de l’appartement Bestégui aux Champs-Elysées [4].

[4]. Les dessins du poème de l’Angle droit (1955), expliquent le sens attribué par Le Corbusier au parcours intellectuel accompli à travers le labyrinthe : comme pour Klee, dont le goût graphique des dessins est très proche de Le Corbusier. L’Ordre n’est pas une totalité externe à l’activité humaine qui le créé. La recherche de la synthèse est d’autant plus enrichie par les incertitudes de la mémoire, par la tension problématique, qu’elle donne même des directions en contraste avec le but final, et parvient à se retourner dans la plénitude d’une expérience authentique. Pour Le Corbusier aussi, l’abslou de la forme est la complète réalisation d’une constante victoire sur l’incertitude du futur, en passant par l’avènement d’une attitude problématique comme garantie unique de sauvegarde collective.

Ce qui transparaît dans ces œuvres, comme dans toute la structure urbaine enfin transformée en unité organique, c’est le caractère positif des contradictions, la conciliation du problématique et du rationnel, la composition « héroïque » de tensions violentes. À travers la structure de l’image, et uniquement à travers elle, le règne de la nécessité se confond avec le règne de la liberté ; le premier est exprimé dans le déterminisme rigoureux du plan, et le second dans la réappropriation, à travers ce plan, d’une connaissance humaine supérieure.
Le Corbusier recourt lui aussi à la technique du choc, mais les objets à réaction poétique sont maintenant reliés les uns aux autres par un organisme dialectique. Puisque rien ne peut échapper à la dynamique formelle et fonctionnelle de ces objets, le plan de Le Corbusier impose une implication totale du public à tous les niveaux d’usage et de lecture. Mais le public est ici contraint à une participation intellectuelle, consciente et critique. En effet, toute « lecture distraite » des images urbaines conduirait à une persuasion occulte. Rien ne dit, d’ailleurs, que Le Corbusier n’ait pas prévu ce genre d’effet secondaire, comme moment nécessaire de stimulation indirecte [5].

[5]. Parmi les nombreux témoignages littéraires de Le Corbusier, où l’intervention de l’architecture comme instrument d’intégration sociale est explicitement placée au premier plan, celui relatif à l’usine hollandaise Van Nelle est particulièrement significatif. «  L’usine des tabacs Van Nelle de Rotterdam – écrit Le Corbusier – création des temps modernes, efface sa signification désespérantes au mot « prolétaire ». Cette dérivation du sentiment de propriété égoïste vers un sentiment d’action collective, nous conduit à ce phénomène heureux de l’intervention personnelle en chaque point de l’entreprise humaine. Le travail demeure tel dans sa matérialité, mais l’esprit l’éclaire. Je le répète, tout est dans ce mot : preuve d’amour. C’est là que par une administration autre, il faut conduire, épurer et amplifier l’avènement contemporain ; dites-nous ce que nous sommes, à quoi nous pouvons servir, pourquoi nous travaillons. Donnez-nous des plans, montrez-nous les plans, expliquez-nous les plans. Rendez-nous solidaires (…). Si vous nous montrez les plans et bous les expliquez, il n’y aura plus ni caste possédante, ni prolétariat sans espoir. Il y aura une société croyante et agissante. À l’heure actuelle des plus strictes rationalisations, c’est de conscience qu’il s’agit ». Le Corbusier, La ville radieuse, chapitre sur le « Spectacle de la vie moderne », 1933.

Même si Le Corbusier cherche à « éloigner l’angoisse par l’introjection de ce qui est la cause », son propos ne se réduit pas à cela. Au niveau élémentaire de la production, c’est à dire celui de la simple cellule d’habitation, l’objectif qu’il se fixe est de concevoir un objet flexible et interchangeable qui favorise une consommation rapide. Dans les mailles des macrostructures formées par les terrains artificiels superposés, Le Corbusier laisse toute liberté dans les modes d’insertion des cellules d’habitation préconstituées ; autrement dit, le public est invité à projeter activement la ville. Un dessin particulièrement éloquent de Le Corbusier montre qu’il va même jusqu’à prévoir la possibilité d’insérer des éléments excentriques et éclectiques dans les mailles des structures fixes. La « liberté » laissée au public (le prolétariat dans l’immeuble d’habitation dont la courbe se déroule devant la mer, et la haute bourgeoisie sur les collines de Fort-l’Empereur) doit être poussée jusqu’au point de lui permettre l’expression de son « mauvais goût ». L’architecture devient ainsi à la fois un acte didactique et l’instrument de l’intégration collective. 

Image Fondation Le Corbusier

Mais cette liberté prend une signification encore plus grande dans le domaine de l’industrialisation du bâtiment. Le Corbusier ne fixe pas la plus petite unité de production sous la forme d’éléments fonctionnels standardisés comme le faisait Ernst May dans sa Frankfurter Küche. Pour lui, la définition de l’objet isolé ne peut se faire sans tenir compte du styling, de la révolution permanente de la technique, et de la consommation rapide imposée par la logique capitaliste de l’expansion. La cellule d’habitation, puisqu’elle est théoriquement consommable à court terme, doit pouvoir être remplacée chaque fois que les besoins individuels changent, chaque fois que de nouveaux besoins sont créés par le renouvellement des modèles et des standards de l’habitat dictés par la production [6].

[6]. Il serait possible sur la base de ces considérations, de s’opposer aux thèmes de Banham qui critique, d’un point de vue interne au développement technologique, l’immobilisme typologique des maîtres du « mouvement moderne ». «  En préférant – écrit-il – des normes et des genres établis, les architectes optent pour des pauses où l’évolution normale de la technologie se trouve interrompue ; ces processus d’évolution et d’innovation, pour autant que nous puissions en juger, ne peuvent être arrêtés que par l’abandon de la technologie telle que nous la connaissons aujourd’hui, par un arrêt délibéré de la recherche et de la production de masse ». R. Banham, Theory and Design in the First Machine Age, 1960. Il est certainement superflu de relever que toute la science fiction architectonique qui a proliféré des années à aujourd’hui, rachetant la démission « des images » des processus technologiques, est – à l’égard du plan Obus de Le Corbusier – en-deçà des modèles les plus désolants.

Ainsi la signification du projet devient très claire.
Le sujet de la réorganisation urbaine, c’est un public sollicité de participer de manière critique et de jouer un rôle créateur dans cette réorganisation. L’avant-garde industrielle, l’ « autorité » et les usagers, dotés de fonctions théoriquement homogènes, sont engagés à l’intérieur de ce processus continu, irrésistible et « exaltant » du développement. Depuis la réalité de la production jusqu’à l’image, puis l’utilisation de l’image, la machine urbaine tout entière exploite le potentiel « social » de la civilisation machiniste jusqu’à la limite de ses possibilités implicites.»

Walter de Maria, Mile Long Drawing, 1968.

En mars 1969, Germano Celant publie dans le n° 333 de Casabella une photographie aérienne de Mile Long Drawing, avec Walter De Maria debout, les bras ouverts entre les deux lignes de craie tracée sur la terre du désert de Mojave.
La légende qui l’accompagne dit : ” l’expérience de celui qui traverse cette distance enclose entre deux très hauts murs blancs, pour replonger à nouveau dans l’immense étendue du désert.”
> dessins du 23 mars
Le désert comme cadre idéal pour la régénération de l’architecture.
Mobiliers pour meubler le désert

Marschall Mc Luhan, Comprendre les medias (Understanding Medias, 1964)
Les effets de la “globalisation” apparaissent comme l’émergence d’un “grand village” (village gobal) qui “ignore et surpasse la forme de la ville”.
Echelle planétaire. Les lignes parralèles de Mile Long Drawing coïncident avec deux parallèles de la Terre.

Apollo 11. Juillet 1969.
Structure observable depuis l’espace.
Abandon du destin de la mégastructure pour atteindre au phénomène cosmique.
The Whole Earth Catalog (automne 1968)

Les “Ruines à l’envers” de Robert Smithson (?)

Alan Boutwell, Michael Mitchell, Comprehensive City ou Continuous City, Domus, janvier 1969.

Alan Boutwell, Michael Mitchell, Comprehensive City ou Continuous City, Domus, janvier 1969.
Pont “habité”, prévu pour traverser les États-Unis (il devait relier New York à San Francisco).
Monorails, télésurveillance, ascenseurs, escaloators, aéroports, zones résidentielles et parkings…

LES DOUZE VILLES IDÉALES (Prémonitions de la parousie urbaine), publiée dans Architectural Design en décembre 1971 sous le titre « Twelve Cautionary Tales for Christmas » puis dans Casabella en janvier 1972.

Gian Piero Frassinelli raconte dans La Vie secrète de Superstudio qu’il écrit la Première ville pour formuler ce qu’était la Vie dans le Monument Continu. Ce n’est pas un projet longuement mûri ni solidement construit, Frassinelli s’ennuie un peu, et enchaîne les récits, se laissant sans doute guider par sa culture de lecteur acharné de science fiction. Les images ont été rajoutées aux textes seulement quand la décision a été prise de les publier.

Première ville : ville de 2000 tonnes

Deuxième ville : ville limaçon temporelle

Troisième ville : New York des cerveaux

Quatrième ville : ville astronef

Cinquième ville : ville des hémisphères

Sixième ville : la magnifique et fabuleuse ville de Barnum Jr.

Septième ville : ville ruban à production continue

Huitième ville : ville cône à gradins

Neuvième ville : ville machine habitée

Dixième ville : ville de l’ordre

Onzième ville : ville aux splendides maisons

Douzième ville : ville du livre

En 1970, Rem Koolhaas, étudiant à l’Architectural Association de Londres, débarque dans les locaux de Superstudio pour leur proposer d’animer un séminaire. Rem Koolhass est par la suite invité par Superstudio à participer au concours de Casabella “La Ville comme environnement signifiant” (1972) pour lequel il présente Exodus ou les prisonniers volontaires de l’architecture qui fera la couverture du numéro de juin 1973.

Rem Koolhaas, Elia Zenghelis, Madelon Vriesendorp, Zoe Zenghelis, Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture: The Allotments, 1972.
Source : [https://www.moma.org/collection/works/431?]

En 1971, Adolfo Natalini est invité par Friedrich St. Florian (membre du jury du concours Trigon69) à donner des cours à la Rhode Island School of Design de Providence.

En 1971, ils fondent la S-SPACE, Scuola Separata Per l’Architettura Concettuale Espansa (École Séparée pour l’Architecture Conceptuelle Expansée) avec le Gruppo 9999. Contient en germe l’idée de Global Tools.

La S-SPACE consiste en réalité en une série de séminaires (aussi appelé Festival Vita) organisés dans le Space Electronic fondé par le Gruppo 9999 reposant sur la contribution des différents groupes du design radical (même si le terme n’existait pas encore). En témoigne le petit livre couvert de poils qui en assure la restitution.

Supersurface. An Alternative Model For Life on Earth.

Film et environnement présentés pour Italy: The New Domestic Landscape (MoMA, 1972).
La pièce présentée par Superstudio lors de cette exposition est décrite par eux-mêmes dans le catalogue. Les lignes qui suivent en reprennent l’essentiel.

Les images de ce projets circulent beaucoup et sont très célèbres. Elles illustrent pour certaines, l’idée même du design radical. Le texte qui figure dans le catalogue de l’exposition est moins connu. Il n’en est pas moins très éclairant. En voici un “résumé” accompagné de quelques extraits, la version intégrale est là.

Le modèle alternatif proposé consiste à « vivre sans objets » : le design n’est plus ce qui « crée un nouveau panorama artificiel entre l’homme et l’environnement » ou « une incitation à consommer » mais essaie « d’agir »* , pour « imaginer une société qui ne soit plus basée sur le travail (le pouvoir, la violence) mais sur des relations humaines intactes. » rassemblements et les dispersions libres, le nomadisme permanent, le choix de relations interpersonnelles au delà de toute hiérarchie préétablie.

– destruction des objets : destructions de leurs attributs sociaux (pouvoir) vivre avec et non pour les objets (Guy Debord)

– élimination de la ville : élimination des structures formelles de pouvoir, modèle social et hiérarchique (condition égalitariste)

– fin du travail : fin du travail répétitif et spécialisé (aliénation). 

Série d’images symboliques rendant visible un modèle alternatif d’existence. 

Interprétation visuelle d’une attitude critique

Le design doit être considéré comme une spéculation philosophique, un outil de connaissance, une existence critique. 

On habite un réseau d’énergie et d’informations (rend possible une vie « sans travail »). Grille qui peut se lire dans sa dimension matérielle mais aussi (et surtout) « comme une métaphore d’une distribution des ressources organisée et rationnelle. »

Nomadisme

C’est l’image d’une humanité qui vagabonde, qui joue, qui dort, etc., sur cette plateforme. Une humanité nue, qui marche le long de cette grande voie avec des bannières, des objets magiques, des objets archéologiques, en tenue de soirée…

Lieux : si une personne est seule, l’endroit est une petite pièce, s’ils sont deux personnes ensemble, c’est une pièce plus grande, s’ils sont dix, c’est une école, s’ils ils sont cent, un théâtre, un millier, une salle des fêtes, dix-mille, une ville, un million, une métropole…

Les lieux où se forment des grandes concentrations humaines ont toujours été basés sur le réseau urbain d’énergie et d’information, et sur des structures tridimensionnelles représentant les valeurs du système. Les grandes foules qui se concentrent pendant leur temps libre sur les plages ou à la campagne sont en fait une masse de gens “servis” par des mini services mécaniques et mobiles (voiture, radio, réfrigérateur portable). Des concentrations comme celles de l’Île de Wright ou Woodstock ouvrent la possibilité d’une vie “urbaine” qui ne nécessite pas nécessairement de se baser sur l’émergence de structures tridimensionnelles.

Hypothèses technologiques de stratégies de survie en l’absence de « structures tridimensionnelles » protectrices.

Les objets que nous voyons sur les images : 

processus de réduction : réduire les objets à l’état d’éléments neutres et disponibles (leur enlever leur statut symbolique). 

L’image alternative (qui est, en réalité, l’espoir d’une image) est celle d’un monde plus serein et détendu, où les actes peuvent trouver tout leur sens et où il est possible de vivre avec peu d’objets, plus ou moins magiques.

« Les objets dont nous auront besoin seront uniquement les drapeaux ou les talismans, signes d’une existence qui se poursuit, ou des ustensiles simples pour des opérations simples. Donc, il ne restera d’un côté que des ustensiles (avec moins de chromes et de décorations) et de l’autre, des objets symboliques comme les monuments ou les écussons. Des objets peut-être crées pour l’éternité, en marbre ou en miroirs ou pour le présent en papier ou en fleurs — des objets fabriqués pour mourir à l’heure venue et qui ont même ce sens de la mort parmi leurs caractéristiques. Des objets que l’on peut facilement transporter si on décide de devenir nomade, ou lourds et immuables, si on décide de rester là pour toujours. »

* Germano Celant, dans son texte fondateur Architecture Radicale, paru dans le catalogue de la même exposition, insiste beaucoup sur le design comme façon d’être. « L’importance écrasante donnée à l’objet ou au bâtiment fini a produit l’attitude qui consiste à substituer l’activité à tout effort de formuler une philosophie du design ou de l’architecture ; cette attitude est devenue le redesign et la neo-architecture, plus intéressés par la décoration et la neo-formalisation de l’objet et du bâtiment que par la nature et l’existence de l’architecture elle-même. Par conséquent, les aspects formels ou décoratifs, et leurs manifestations physiques et formelles, ont remplacé toutes considérations conceptuelles et la façon d’être qui devraient diriger l’activité du designer. »

Supersurface.
Supersurface est la réponse de Superstudio à la demande formulée par Émilio Ambasz pour l’exposition Italy: The New Domestic Landscape (MoMA, 1972). Elle est composée d’un environnement et d’un film, Vie (Vita), qui sera le premier des cinq formant l’ensemble des Actes Fondamentaux (Acti Fondamentali)

Supersurface, Vue de l’exposition.

Le projet proposé est une grille reflétée à l’infini par des miroirs disposés autour d’elle. La Terre est devenue un seul et grand Histogramme. Mais là où les Histogrammes et même le Monument Continu étaient encore des formes, même si elles démontraient par l’absurde la fin de toutes les formes issues des mythes de l’architecture moderne, Il n’existe plus aucune forme dans la Supersurface : « L’architecture est la Terre : la planète câblée est l’architecture » (Cristiano Toraldo di Francia, La Vie secrète de Superstusdio, p. 136).

En 1972, Superstudio organise le premier séminaire de Global Tools, sorte d’école d’arts et métiers créée sous l’impulsion d’Alessandro Mendini, dans l’église désacralisée de Roberto Magris à la Sambuca, près de Florence.


Les actes fondamentaux (Gli Atti Fondamentali), 1971 – 1973

Vita, supersurface (film présenté précédemment pour Italy: The New Domestic Landscape (MoMA, 1972).

Les actes fondamentaux, issus des actions, des pratiques et des comportements des hommes, précèdent l’architecture.

« Les grands thèmes, les thèmes fondamentaux de notre vie, ne sont jamais touchés par l’architecture. L’architecture reste sur les marges et elle n’intervient qu’à un certain stade du processus de relation, quand tout le comportement a généralement déjà été codifié, en apportant des réponses à des problèmes posés de manière rigide.»
(Superstudio, « Gli Atti Fondamentali. Cinque Storie del Superstudio », dans Gabriele Mastrigli, Superstudio, Opere, 1966-1978, Quolibet, 2016.

« L’architecture ne propose pas de comportements alternatifs, car elle utilise des instruments mis au point par le système pour éviter toute déviation importante »

Met en place un « processus de réduction » pour remonter aux sources de l’architecture et proposer une « refondation anthropologique et philosophique de l’architecture.»

Supersurface : An alternative model for life on the Earth, (Vita), 1972
Education (Educazione), 1973
Cérémonie (Cerimonia), 1973.

Cérémonie a été présenté à la Triennale de Milan de 1973

La Mort est aussi la restitution de la participation du groupe au concours pour le Cimetière de Modène.

Exposition Fragmente aus einem persönichen Museum (Fragments d’un musée personnel), Neue Galerie am Landesmuseum Joanneum, Graz, 6 juin – 1er juillet 1973.

Affiche de l’exposition. ©Georges Meguerditchian, Centre Pompidou, MNAM/CCI.
Source : [https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cqjdpG]

Exposition Sottsass/Superstudio: Mindscapes, Walker Art Center, Minneapolis, 1973

Couverture du Design Quaterly (n°89) consacré à l’exposition.
Cette exposition itinérante est aussi présentée au Contemporary Art Center de Cincinnati, au Everson museum of Arts de Syracuse, au Johnson Museum by Ithaca, à l’Art Museum of South Texas à Corpus Christi, au Fort Worth Art Center, au Long Beach Art Museum à Los Angeles et au Joslyn Art Museum à Omaha.

Global Tools

Superstudio après Superstudio.

Après 1973, Superstudio interromp sa production d’écrits et d’images pour se consacrer à l’analyse de la Culture Matérielle Extra-Urbaine. Adolfo Natalini, Gian Piero Frassinelli, Alessandro Poli et Cristiano Toraldo di Francia donnent un cours portant ce titre à la Faculté d’Architecture de Florence entre 1973 et 1978.

La Moglie di Lot (La femme de Loth), présenté la première fois à la Biennale de Venise en 1978. Cinq sculptures de sel représentant autant d’archétypes de l’architecture se dissolvent sous un goutte-à-goutte jusqu’à disparition totale.
En se dissolvant, chaque sculpture révèle un objet symbolique placé à l’intérieur.

Pyramide égyptienne / structure pyramidale de fils de fer
Colisée / habitat résidentiel (un lieu habité)
Cathédrale / coquille d’oeuf (Piero della Francesca)
Château de Versailles / Brioche (Marie-Antoinette)
Pavillon de l’Esprit Nouveau / plaque de laiton sur laquelle est inscrite la phrase : « La seule architecture sera notre vie. »

L’eau saumâtre s’accumule dans un réservoir situé sous la structure porteuse où se trouve une plaque de laiton sur laquelle est inscrit :
« Superstudio, Florence / Venise, mai / juin 1978
LA FEMME DE LOT
L’architecture est au temps ce que le sel est à l’eau. »
L’eau saumâtre la recouvre lentement et, une fois l’eau évaporée, le sel ternit la plaque, la rendant à peine lisible.

« L’architecture de l’histoire ne montre dans le temps que son aspect symbolique ; le temps d’érosion de la phase fonctionnelle est extrêmement réduit par rapport à celui de la phase symbolique. L’architecture de l’histoire est une architecture de symboles et de représentations, dont la fonction d’usage est contingente et périssable. D’autre part, l’architecture peut retrouver un usage – dans des délais et des conditions que son concepteur ne peut pas prévoir – grâce à ses habitants. L’architecte a choisi d’exprimer la fonction symbolique de l’architecture, alors que seuls ses habitants peuvent réellement projeter sa fonction d’habitation. Ceux qui veulent construire regardent autour et devant eux : ainsi ils laissent quand même derrière eux les architectes transformés en statues de sel. »

Superstudio, La moglie di Lot e La coscienza di Zeno, Biennale de Venise 1978 (édition XXXVIII), Catalogue de l’exposition (autoédition), Venise, 1978.
Cette pièce fut à nouveau exposée à la Biennale de Venise de 2014.

La conscience de Zeno

La Conscience de Zeno est tirée de l’un des projets les plus important d’Alessandro Poli, Zeno, una cultura autosufficiente (1972-1980). Elle a été exposée à la Biennale de Venise de 1978, avec La Moglie di Lot

Image extraite de Abdelkader Damani, Superstudio, La vie après l’architecture, Frac Centre Val de Loire, 2019, p. 235.

Ce projet est également lié aux recherches menées par Superstudio sur la Culture Matérielle Extra-urbaine à l’Université de Florence de 1973 à 1978. 

L’ensemble de ce travail de recherche a été publié dans la revue Modo n°7, 1978. 

 Zeno, una cultura autosufficiente raconte la relation de Zeno Fiaschi, un paysan de Riparbella, avec la petite maison construite par son grand-père dans laquelle il est né et a toujours vécu. Elle raconte aussi sa relation avec ses outils, ses vêtements, et tous les éléments matériels de sa vie dans cette petite maison qui est la seule qu’il n’ait jamais connue. À l’intérieur de ce récit, Poli en tisse un autre, fictif celui là, qui raconte la rencontre entre Zeno et Buzz Aldrin. La culture Extra urbaine paysanne entre ainsi en interaction avec une autre sorte de culture Extra urbaine, celle de l’espace, entre deux capsules de vie auto-suffisantes. 
Ce travail se présente sous forme de dessins et collages représentant différents outils, espaces domestiques et de travail de la vie de Zeno. Plusieurs de ces dessins comprennent des objets, comme des taies d’oreiller, des morceaux de métal et une corde. Des objets figurent aussi dans le projet, des outils ou même la porte de Zeno. Le travail comprend aussi un livre qui prend la forme d’un catalogue des éléments qui font partie de la vie de Zeno, qui détaille ses espaces, ses journées de travail et même ce qu’il mange. 
[source : https://www.cca.qc.ca/fr/archives/408095/fonds-alessandro-poli/428301/architectural-and-design-projects/473259/zeno-una-cultura-autosufficiente-zeno-a-self-sufficient-culture-1972-1980]

Après 1978, les cours à l’Université s’arrêtent et chacun des membres de Superstudio poursuit sa propre route.

En 1982, une exposition a lieu à la galerie Accademia de Florence. À cette occasion, un livre édité par Gianni Pettena intitulé « Superstudio 1966-1982 » est publié aux éditions Electa.

L’agence et le nom de Superstudio, apposé à celui qui signait le projet, perdurent néanmoins jusqu’en 1986, date à laquelle le groupe est définitivement dissout.

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