Extrait de Victor Margolin, World History of Design, « General Introduction », Bloomsbury, 2015, p. 1-11.
Le design dans son sens le plus large, évolue encore de nos jours comme une activité qui recherche régulièrement une meilleure reconnaissance sociale. Il est donc important de raconter son histoire aussi largement que possible et d’expliquer comment cette histoire a changé au cours des siècles.
Au cœur de cette histoire se trouve le récit de la manière dont différents axes techniques, artistiques, commerciaux et sociaux ont conduit à notre compréhension actuelle et future du design. Cela nous amène à un problème épineux : comment quelqu’un peut-il écrire l’histoire d’un sujet dont les frontières sont indéterminées et dont l’objet a déjà été partiellement revendiqué par d’autres disciplines ? Si l’archéologie a prédominé dans le récit de la production d’objets anciens, si les historiens de l’art ont revendiqué l’art rupestre, si la linguistique a pris en charge les origines des systèmes de signes, si les spécialistes des métiers d’art ont écrit sur l’histoire de l’artisanat, et si l’histoire des techniques s’est occupée de l’histoire des appareils et des machines, que reste-t-il à écrire à l’historien du design, particulièrement sur la longue période avant laquelle le design est devenu cette pratique distincte et identifiée vers la fin du XVIIIe siècle ? Si l’histoire du design a été écrite, ce récit a toujours été un hybride contenant des sujets empruntés à d’autres disciplines de l’histoire, comme l’histoire de l’art, l’histoire de l’imprimé, l’histoire de l’artisanat et l’histoire des techniques. Les historiens du design se sont sentis complètement légitimes à faire usage de sujets et de techniques issus d’autres histoires tant qu’ils contribuaient à élaborer de nouveaux récits cohérents.
Depuis le milieu des années 1970, les canons de l’histoire du design ont emprunté des axes différents, dont un dédié au design industriel ou au design produit et un autre au design graphique. Chacun d’entre eux comprennent de consistantes chronologies d’objets, dont la plupart sont issues d’autres disciplines historiques. L’orientation de la grande majorité d’entre eux est occidentale, bien que le Japon, en tant que première nation asiatique occidentalisée, ait été un peu inclus dans quelques histoires plus récentes. Les figures canoniques et les institutions citées dans les histoires conventionnelles sont Christopher Dresser, William Morris, Jules Chéret, le Bauhaus, et Alvar Aalto, pendant que le design industriel commence, dans les années 30, à engendrer ses propres héros comme Raymond Loewy et Henry Dreyfuss. Dans la période post-seconde guerre mondiale, Charles and Ray Eames, George Nelson, Ettore Sottsass Jr., et Dieter Rams parmi d’autres designers de produits, et Paul Rand, Armin Hoffmann, Henryk Tomaszewski, et Yusaku Kamemura parmi d’autres designers graphiques devinrent des figures iconiques. Les récits canoniques du design d’objet et du design graphique sont devenus une armature à l’ajout d’autres designers ou entreprises de design dont le travail est moins connu mais dont les formes sont familières. Il est devenu possible d’inclure des individus auparavant marginalisés comme les afro-américains et autres designers de couleur. Cependant, l’absence d’un récit global a rendu difficile de poser la question de la place du design dans un champ culturel plus large et comment cette place a changé pendant les siècles.
Cela a constitué le défi de cette histoire mondiale du design. J’ai commencé par me demander comment le design, quelle que soit la façon dont on le définit, avait, de tous temps, pris part au monde. Cela a signifié qu’il fallait suspendre une définition unique du design puis cela a généré le besoin de penser les différentes conditions dans lesquelles les individus ont fabriqué des objets pour satisfaire leurs besoins quotidiens. J’ai par conséquent mis en évidence dans cette histoire, des objets, des systèmes et des services qui ont fait partie intégrante des desseins de l’action humaine. Dans bien des cas cela incluait l’architecture, comme contexte ou cadre élargi pour la conception de nouveaux produits comme les meubles et les équipements domestiques. Bien que la culture de la conception et de la construction de bâtiment ait sa propre histoire, elle croise de temps à autre le récit de l’histoire du design que j’ai développé et figure par conséquent parfois dans ce récit. J’ai également fait référence à l’histoire des intérieurs, qui est encore davantage intégrée à l’histoire du design, plus particulièrement lorsqu’elle traite de la conception de meubles ou des biens d’équipement domestiques. J’ai inclus l’ingénierie quand elle s’intéresse aux objets que l’homme utilise plutôt que par des exemples de conception d’infrastructures comme les barrages, les réseaux électriques ou les abris de chemin de fer. Dans les recherches historiques et théoriques, il est d’usage de traiter le design et l’ingénierie séparément mais les deux sont en fait intimement liés. On peut par exemple s’intéresser à Isambard Kingdom Brunel, un ingénieur du XIXe siècle, dont les réalisations sont clairement imbriquées dans l’histoire du design. On peut aussi trouver dans la longue histoire de l’ingénierie, beaucoup d’ingénieurs qui ont inventés de nouveaux produits. Un exemple remarquable de la proximité de ces relations entre le design et l’ingénierie est l’effort de recherche massif entrepris par tous les protagonistes de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle les scientifiques, ingénieurs, et designers ont travaillé ensemble pour produire des armes pour leurs propres forces militaires. Cet exemple de collaboration ne remet pas en cause l’histoire spécifique de l’ingénierie, qui peut être écrite sans référence au design, mais il est plus difficile d’écrire une histoire du design sans référence à des ingénieurs puisque la plupart des objets, et même parfois des meubles, ont une composante technique dont il est rarement fait référence dans les histoires du design. On trouve dans le Oxford English Dictionary que le terme « design, “compris comme un plan ou un schéma destiné à une réalisation”, n’apparaît pas avant le milieu du XVIe siècle. D’autres sens du terme, comme « dessiner » ou « faire un croquis », sont apparus à peu près à la même période. Par conséquent, tout ce que les hommes pouvaient faire avant le XVIe siècle, qui correspondait à une activité de design, était soit non identifié en tant que tel, soit appelé autrement. Les premiers humains ainsi que leurs prédécesseurs fabriquaient des outils, une activité qui sera plus tard distinguée de l’artisanat et de l’ingénierie, mais qui sont toutes deux bien visibles dans les civilisations anciennes. Je suis réticent, cependant, à utiliser le terme « proto-design ». Il suggère des activités précédant le design, alors défini comme une pratique qui, une fois advenue, est demeurée stable. Mais, si nous reconnaissons le design comme une activité contingente qui se modifie en permanence, utiliser le terme « proto-design » n’a aucun sens, il convient plutôt de définir les activités humaines correspondantes dans toutes les périodes historiques simplement comme design. Cela se justifie par la création d’un récit continu entre les activités ainsi qualifiées : une continuité connectée à un but en évolution qui relie ces activités les unes aux autres.
La question centrale que je dois maintenant poser est celle des frontières culturelles ou techniques qui cadrent l’objet de ma propre histoire du design et la façon dont ces frontières ont été déterminées. Sur quelles bases peut-on attribuer une activité ou un objet à la rubrique design et quel est l’objectif général qui rendrait ce récit cohérent ? Je me suis intéressé à un large éventail d’activités humaines plutôt qu’aux formes traditionnelles et aux distinctions typologiques qui constituent exclusivement les récits antérieurs. Ainsi, ce que je considère être du design dans la Chine du IVe siècle diffère considérablement de ce que j’appelle design dans la France du XIIe siècle, l’Inde du XIXe siècle, où les États-Unis des années 90.
Afin qu’il puisse s’adapter aux diverses manifestations que je lui attribue dans différentes sociétés et cultures, j’ai adopté une définition du design qui est nécessairement interdisciplinaire. Elle emprunte à l’histoire de l’art, à l’histoire des techniques, et à d’autres disciplines historiques, ainsi qu’à de nombreuses initiatives interdisciplinaires issues d’autres champs depuis les années 60. Parmi celles-là figurent l’émergence des recherches ethniques et religieuses, que ce soit celles sur les afro-américains ou les juifs, les gender studies, celles sur le féminisme, sur les gay, lesbiennes ou transgenre, les “media studies”, qui combinent le cinéma, la télévision et des nouveaux médias comme les jeux video ; et les “area studies”, qui prennent un pays ou une région entière comme sujet d’investigation à travers de multiples disciplines. Ces nouveaux cadres interdisciplinaires sont le résultat de changements considérables dans la profession d’historien elle-même, dont l’intérêt a bifurqué pendant les années 60, de la guerre ou de la politique comme principaux thèmes d’investigation historiques vers un intérêt pour l’histoire sociale qui couvre toutes sortes de sujets, depuis l’éducation des enfants jusqu’à la consommation de nourriture en passant par les spectateurs d’événements sportifs.
Si l’histoire du design se fonde comme pratique interdisciplinaire, il devient nécessaire de la distinguer des autres histoires avec lesquelles elle se superpose. Bien sûr, l’histoire du design et l’histoire de l’art peuvent être distinguées simplement sur la base de leurs objets d’étude. L’histoire de l’art s’intéresse à la peinture, la sculpture et aux formes d’expression plus contemporaines comme les installations ou la video. Il est vrai cependant, que ce n’est pas aussi simple que de dire que l’art est purement expressif, puisqu’il existe aussi historiquement pour d’autres buts. Cependant, depuis le début de la période Romantique de l’art occidental, le discours personnel de l’artiste a été plus largement mis en valeur que sa fonction sociale.
Le design, inversement, comprend un élément artistique, mais ses résultats sont toujours destinés à être utilisés par quelqu’un dans un but précis. Il ne s’agit pas de nier sa capacité à transmettre un sens esthétique, social, philosophique ou autre, un facteur que Klaus Krippendorf a fortement souligné dans son livre The Semantic Turn : A New Foundation for Design, mais un artefact ou un autre résultat d’un processus de design doit faire plus que faire naître du sens pour être considéré comme du design. Par conséquent, la façon dont les hommes font usage du design est essentielle à son histoire.
Les histoires de l’art et du design se superposent parfois, par exemple quand des artistes comme Andy Warhol ou Donald Judd font aussi du design. La même chose est vraie pour l’architecture puisque beaucoup d’architectes ont aussi été designer d’objets et de mobilier. Inversement, l’histoire des techniques, qui comprend l’histoire de l’ingénierie, traite aussi en grande partie de l’aspect fonctionnel ou mécanique des produits. Étant donné que le design produit et le design graphique ont tous deux des aspects fonctionnels et sémantiques, ne traiter que de la dimension fonctionnelle ne reviendrait à traiter qu’une partie de l’histoire du design.
L’HISTOIRE DU DESIGN EN TANT QUE DISCIPLINE.
L’histoire du design est une discipline relativement nouvelle. Les premiers écrits comme Pioneers of the Modern Movement from William Morris to Walter Gropius de Nikolaus Pevsner et Mechanization takes Command de Siegfried Giedion ont été publiés respectivement dans les années 30 et les années 40, mais étaient des ouvrages idiosyncrasiques qui ne furent pas associés, au moment où ils ont été publiés, au développement d’une discipline d’histoire du design. Plusieurs années plus tard, en 1976, la Design History Society fut fondée en Grande-Bretagne en réponse à une demande gouvernementale stipulant que tous les étudiants en art, en design et en métiers d’art apprennent l’histoire de leur propre profession. La fondation de la Design History Society a, à son tour, influencé la création en 1983 du Design History Forum (aujourd’hui le Design Studies Forum) au College Art Association aux États-Unis et a sans doute contribué à la création d’autres organisations d’histoire du design ailleurs, en Scandinavie, Italie, Turquie et Allemagne.
La Design History Society émerge d’un contexte pédagogique. Par conséquent, les premières histoires du design étaient conçues pour être utilisées en classe. On peut citer An Introduction to Design and Culture in the 20th Century de Penny Sparke, A History of Design from the Industrial Era to the Présent de Ann Ferebee, Industrial Design de Philip Megg, sans parler de la collection séminale de livres pédagogiques sur l’histoire de l’architecture moderne et du design de 1890 à 1939 de l’Open University.
Puisque ces livres étaient écrits pour le cadre d’un cursus scolaire plus que comme des ouvrages érudits, leur récit était celui d’une histoire générale du design qui s’adressait à un public d’étudiants en design plus qu’à un public d’érudits. Par essence, ces textes ont formé l’armature initiale d’une histoire du design mais ils ne sont pas allés au bout des questions complexes qu’une grande histoire du design savante doit traiter. Une exception aux limitations géographiques des histoires du design est le récemment publié History of Design: Décorative Arts and Material Culture, 1400-2000, dirigé par Pat Kirkham et Susan Weber du Bard Graduate Center.
En 1999, un groupe de théoriciens et d’historiens du design ont organisé une conférence sur l’histoire du design à Barcelone qui a débouché sur la formation de l’International Committee for Design History and Design Studies, qui organise aujourd’hui des biennales dans le monde et a rassemblé un grand nombre de théoriciens. Le Committee publie des actes qui comprennent de nombreux articles internationaux d’histoire du design. Des articles sur l’histoire du design en dehors de l’orbite euro-américaine continuent d’être publiés en Angleterre dans Design Issues, qui a commencé à paraître à l’Université de l’Illinois à Chicago en 1984, ainsi que dans le Journal of Design History, publié par la Design History Society depuis 1988.
En plus de l’élargissement de la couverture géographique, quelques mouvements pour étendre la couverture chronologique de l’histoire du design ont eu lieu. Le Journal for Design History par exemple, a publié beaucoup d’articles à propos d’objets datant de la période qui précède la révolution industrielle. Cette chronologie élargie n’a pas été prolongée d’un débat au sein de la communauté intellectuelle du design sur ce qu’est la portée temporelle du design. Les cadres géographique et temporel de l’histoire du design se sont développés de manière diffuse et spontanée.
Il existe maintenant un écart entre les frontières géographiques et temporelles reconnues par les spécialistes et la production de nouvelles histoires du design plus contraintes, qui sont encore conditionnées par leur orientation académique. Cette orientation a également rendu difficile la création d’ouvrages plus synthétiques, puisque les auteurs d’histoire du design tendent à considérer les étudiants en histoire du design comme le principal marché des livres qu’ils publient. Il y a donc des histoires de la mode et des guides de la mode pour attirer les étudiants dans des cours d’histoire de la mode, des histoires de l’architecture d’intérieur pour les étudiants en architecture d’intérieur, des histoires du design graphique pour les étudiants en design graphique, des histoires du design industriel ou des histoires plus ou moins largement conçues pour les étudiants en design d’objet, et des histoires de l’architecture pour les étudiants en architecture. Plus récemment, des guides et des anthologies dans le champ du design sont aussi apparus dans l’intention d’être pertinents pour l’enseignement d’un plus large éventail de disciplines.
En tant que spécialiste impliqué dans l’histoire du design depuis le début des années 80, j’ai observé que son traitement pouvait aller bien au delà des limites géographiques et temporelles acceptées par les premiers historiens. En fait, le livre le plus utilisé sur le design graphique, A History of Graphic Design de Philip Megg a proposé le premier une couverture chronologique plus large en commençant avec l’art pariétal et la création des premiers systèmes de signes linguistiques à partir desquels l’auteur a construit un récit basé sur la continuité entre les premières tentatives de communiquer par des signes visuels – l’art pariétal –, la formation des multiples systèmes de signes linguistiques dans le monde, et le début de l’imprimé dans diverses régions du monde dont l’Allemagne, la Chine et la Corée. Malgré cette histoire chronologiquement étendue, Megg s’intéresse cependant davantage aux changements de formes pour elles-mêmes, que ce soit dans les polices de caractère, les livres ou les affiches, qu’à l’explication des forces sociales et économiques qui ont abouti à leur création. Néanmoins, la continuité qu’il établit entre les premières formes de communication visuelle et les plus contemporaines a constitué un pas conséquent vers la justification d’une trajectoire chronologique du design graphique plus longue que celle qui existait déjà. Pour écrire son histoire du design graphique, Megg a incorporé des éléments issus d’un grand nombre d’autres domaines comme l’archéologie, l’histoire de l’art et de l’imprimé, qui développent tous des aires de recherches dans lesquelles il a pu puiser.
Un ouvrage qui pourrait chercher à combler les lacunes de celui de Megg dans le domaine des facteurs sociaux et technologiques est Graphic Design: Reproduction and Representation since 1800 de Paul Jobling et David Crowley, qui met en évidence le contexte social du design graphique. S’il avait existé une culture intellectuelle plus forte de l’histoire du design quand le livre a été publié en 1996, il aurait pu faire l’objet d’une discussion de spécialistes, mais en l’absence d’une telle culture, le livre n’a pas particulièrement retenu l’attention dans son domaine et ne pouvait pas rivaliser avec celui de Megg en tant que livre de cours.
Tout comme Megg a établi une chronologie plus longue pour les formes graphiques, les historiens des arts décoratifs ont fait de même pour d’autres types d’artefacts, comme les meubles, les céramiques, les objets en métaux et en verre. Le petit livre de Edward Lucie-Smith, Furniture, par exemple, commence avec les tabourets et trônes égyptiens et se termine avec le mobilier moderne des années 60 et 70. Dans sa courte histoire, Lucie-Smith tente de montrer comment les formes du mobilier tissent à des moments différents des relations avec le milieu social de leur période respective, autant en termes de techniques de production que de conditions d’usage.
L’une des raisons qui explique le très grand nombre de recherches en design de mobilier et en histoire des arts décoratifs est que la plupart des musées ont commencé à établir des collections il y a plusieurs années, en même temps que la peinture, le dessin, la sculpture et les imprimés. Par conséquent, cela a stimulé un champ de recherche dont des auteurs comme Lucie-Smith ont pu tirer parti. Les histoires du mobilier tendent à adopter une perspective globale jusqu’au XVIIIe siècle, période après laquelle la plupart des auteurs s’intéressent à des cas occidentaux. La notion de modernisme dans ces histoires est entièrement européenne ou américaine. Cela n’est pas dû à un manque d’information à propos d’autres cultures mais plutôt au choix de ne pas s’engager dans les complexités narratives d’une véritable histoire mondiale.
QUESTIONS MÉTHODOLOGIQUES.
Travailler au sein de différentes cultures a été motivé par différents facteurs. L’un d’entre eux est la variété des conditions environnementales auxquelles les habitants de différentes régions du monde ont du s’adapter à travers les siècles. Le mode de vie des Inuits dans le nord du Canada, par exemple, est considérablement différent de la vie dans une ville médiévale japonaise. Non seulement les habitants des différentes sociétés et cultures conçoivent différents moyens de subvenir à leurs besoins – nourriture, abri, vêtements, transport, et parfois armes – mais leur comportement évolue différemment face à la technologie. Toutes les cultures n’ont pas embrassé l’idée de progrès, qui a été la force motrice du développement occidental. Dans certaines cultures, la tradition a davantage été valorisée parce qu’elle stabilisait différents aspects de la société – les rituels, l’art, et les relations humaines par exemple. Il est vrai que la plupart des régions du monde ont adopté le modèle occidental de progrès, mais toutes ne l’ont pas fait et en fait, le design dans ses formes traditionnelles est toujours très visible dans certaines sociétés et cultures.
Par conséquent, une idée plurielle du design est essentielle pour écrire une histoire du design dans diverses sociétés dont les valeurs culturelles et les objectifs diffèrent. Dans le monde d’aujourd’hui, l’industrie et la technologie se sont généralisés et dominent, mais il demeure des divergences significatives dans le degré d’adoption du développement industriel par différentes sociétés et cultures. Cela ne veut pas dire que ces sociétés sont restées isolées les unes des autres, sans connaître les modes de vies qui les entoure. Cela suggère en revanche, que dans la mesure où l’idée de design dans une société où une culture donnée est basée sur des valeurs partagées qui motivent son développement, ces valeurs peuvent varier considérablement d’une partie du monde à l’autre et même dans des régions du monde proches les unes des autres. Nous pouvons prendre pour exemple les membres de la communauté Amish aux États-Unis, qui adoptent la technologie de façon sélective et conservent beaucoup d’artefact comme les chevaux et les chariots qui sont considérés comme des antiquités par les autres.
Dans la plupart des histoires du design, l’histoire commence au moment de l’émergence de la culture industrielle en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle. Cela fournit une large justification pour ignorer le design dans des cultures et des sociétés qui n’ont pas atteint un tel niveau d’industrialisation. La disparité est renforcée par la colonisation, par laquelle beaucoup de parties du monde ont expérimenté l’étouffement de leur développement industriel, économique et social jusqu’à ce que la décolonisation commence après la deuxième guerre mondiale.
Cette situation conduit au défi d’écrire une histoire mondiale du design. En tant que projet, une telle histoire dépasse les écrits antérieurs de deux manières. D’abord, géographiquement, une histoire mondiale du design inclut des territoires beaucoup plus lointains que les précédentes. Comme l’histoire du design est cependant devenue plus globale, des chercheurs de régions du monde, dont les réalisations en design n’avaient pas encore été reconnues, ont commencé à publier des articles et des livres sur l’histoire du design dans leur propre pays. La Turquie, le Mexique, l’Argentine, le Brésil, Taiwan, le Canada, l’Estonie, la Chine, l’Australie, la Nouvelle Zélande et le Japon sont quelques-uns des pays en dehors de l’Europe et des États-Unis où la recherche en design est active.
Un mouvement historique mondial a grandi parallèlement à l’interdisciplinarité qui débute dans les années 60, dont ont résultés un grand nombre de textes, ainsi que la World History Association, sa revue et ses conférences annuelles. Comme Pevsner et Giedion en histoire du design, des individus comme Arnold Toynbee, H. G. Wells, William McNeill, et l’équipe de Will et Ariel Durant ont commencé à prendre en charge une histoire mondiale correspondant à leur propre vision. Quand ils ont écrit leurs histoires, ces auteurs ont cependant manqué du retour d’une communauté intellectuelle, qui existe maintenant, pour débattre des questions relatives à un tel projet et pour faire avancer les recherches rendant possible de nouveaux contenus stratégies méthodologiques.
Il y a eu peu de mouvements comparables vers une perspective globale pour le moment en histoire du design, mais un premier pas a été franchi avec la publication de Global Design History dirigé par Glenn Adamson, Giorgio Riello et Sarah Teasley. Cet ouvrage est issu de recherches de plusieurs institutions académiques en Grande-Bretagne et aux États-Unis et d’une séries de conférences qui se sont tenues de chaque côté de l’Atlantique.
Ainsi, ma propre histoire mondiale a été encouragée par ces tendances vers l’interdisciplinarité et la globalisation. Cependant, j’ai du envisager pour cette histoire un but qui transcende l’objectif d’une documentation cohérente, même sur une échelle globale. Cette question est essentielle parce que le design, s’il s’intéresse seulement à la qualité des artefacts, peut être facilement marginalisé parmi les autres disciplines et ne pas être traité avec le même sérieux que reçoivent l’histoire militaire, politique ou sociale. Un exemple d’histoire interdisciplinaire qui cherche à surmonter les problèmes des sujets marginalisés est Civilisation et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles de Fernand Braudel, une histoire interdisciplinaire en trois volumes des débuts du monde moderne qui inclue les techniques, les métiers d’art et l’aménagement des espaces intérieurs comme des aspects de la description synthétique de la vie domestique dans les grandes villes européennes. Membre de l’école française des Annales, Braudel insiste sur la description des modes de vie, sur la façon dont les hommes fabriquent les outils dont ils ont besoin et la façon dont ils organisent leurs espaces de vie et de travail. Ma priorité est de montrer comment les êtres humains ont conçu, planifié et produit les artefacts, qu’ils soient matériels ou immatériels, qu’ils utilisaient pour satisfaire leurs besoins et leur désirs ainsi que pour organiser et diriger leurs vies. Comme Braudel, j’utilise une approche interdisciplinaire, mais j’insiste particulièrement sur la façon dont les artefacts sont advenus et sur les conséquences sociales qu’ils ont entraîné.
Je me suis plus particulièrement intéressé au design qui noue des liens étroit avec l’usage qu’on en fait, que ce soit pour les objets de paix ou les objets de guerre. Bien que de nombreuses histoires des armes et des objets de guerre existent depuis longtemps, John Heskett a été le premier historien à inclure les armes dans une histoire du design. Dans son sillage, j’ai écrit l’histoire des armes, depuis la hache jusqu’aux missiles guidés, comme une partie de l’histoire du design. De même, j’ai fait la chronique du processus de design qui a mené les États-Unis et l’Union Soviétique à envoyer des hommes dans l’espace.
Lorsque l’on essaie d’établir la lignée entre les premières fabrications d’outils et la sculpture ou la peinture puis les activités sociales plus spécialisées comme la poterie, la peinture sur rouleau ou le forgeage, on découvre que les nouvelles activités, que l’on peut considérer comme du design dans une perspective contemporaine, étaient contingentes de nouvelles formes d’organisation sociales comme l’émergence de classes, l’organisation du travail ou des tendances politiques. Par conséquent, bien que je reconnaisse que ces objets ou artefacts sont signifiants pour leurs propriétés propres, dont la description constitue une partie de mes écrits, je me préoccupe également des évolutions des activités qui produisent ces choses. Pour aller encore plus loin, cette histoire prend également en compte les pensées, les réflexions et les théories qui ont mené à ces activités ; elle les englobe dans un système social qui a une grande influence sur ses caractéristiques. Ce qui émerge est une idée de la pratique du design comme partie de ce que Guy Julier a appelé une « culture du design », qui prend en compte toutes les activités accessoires comme les conférences, les revues, les publications, les expositions et les politiques qui contribuent à un discours public qui influence la pratique des designers indépendants et des agences de design. L’histoire des écoles dans lesquelles les designers ont été formés doit aussi être prise en considération. Julier va par exemple jusqu’à questionner l’image de marque des villes, des régions et des pays comme partie prenante d’une culture de design, ainsi que des changements dans les pratiques professionnelles, les concepts d’auteur, ou les nouvelles formes de consommation.
La géographie est centrale dans l’histoire du design, d’une part comme désignation des lieux où le design se passe, mais surtout comme explication des regroupements d’entités politiques, comme les nations, qui se forment dans ces lieux. Par conséquent, jusqu’à la toute dernière partie du XXe siècle, le design est impliqué dans l’histoire des nations, des royaumes et autres regroupements politiques aux formes de gouvernement variées. Il est aussi imbriqué dans le système économique qui advient avec ces regroupements et rend la production et le commerce possibles. De tels systèmes comprennent les économies despotiques aux règles autocratiques, aussi bien que d’autres systèmes économiques comme le capitalisme, qui est d’abord associé à la première période moderne en Europe et qui devient par conséquent le système prédominant dans lequel le design s’est produit et continue de se produire. Cependant, le capitalisme n’est pas monolithique, ni ceux qui opèrent en son sein. Il y a eu des systèmes économiques parallèles au capitalisme, comme les guildes socialistes et l’économie communiste de l’Union Soviétique après la révolution russe de 1917, ainsi que ses applications dans les pays du bloc de l’est après la deuxième guerre mondiale. Des variantes ont été adoptées ailleurs à d’autres périodes, alors que la quantité de production et de commerce, y compris dans les économies capitalistes, variaient dans la mesure où ils sont menés par des gouvernements ou des entreprises privées. Dans les systèmes capitalistes, il y a aussi des poches de résistance, où des stratégies de conception animées par une opposition émergent. Cela fut le cas du mouvement Arts & Crafts en Angleterre, dont l’influence se diffusa dans beaucoup d’autres pays.
L’histoire du design fait état de variations significatives dans la trajectoire qui amène au design tel que nous l’entendons aujourd’hui, particulièrement à l’ambition qui se répand parmi les designers de dépasser les frontières traditionnelles et de prendre à leur compte le design de services, d’organisation, et d’autres activités plus larges comme le déplacement des réfugiés. Une approche phénoménologique aide à qualifier ces changements. À chaque changement correspond une modification des consciences qui pourrait, en fait, l’avoir initié. Je place la conscience dans une relation dynamique avec deux autres éléments pour expliquer les changements de trajectoire du design. Je commence par la conscience qui produit la vision ou la compréhension de ce qui peut être fait ou fabriqué. Je considère alors que son engagement avec des artefacts culturels existants produit des idées pour l’amélioration ou la création de nouveaux artefacts, et les relie aux conditions sociales, économiques et culturelles qui encadrent ce que nous pouvons faire. Je prétends donc que l’imagination est toujours conditionnée par quelque chose, pendant que l’action est toujours rendue possible ou restreinte par un cadre. Les changements peuvent varier, depuis l’amélioration incrémentale d’un artefact, jusqu’à un objet radicalement nouveau qui apparaît quand un schéma de pensée antérieur est suffisamment rompu par un mouvement de conscience poussé par la perception d’une nouvelle opportunité.
DIGRESSION PERSONNELLE
J’ai décidé d’écrire une histoire mondiale du design après avoir enseigné l’histoire du design pendant plus de 20 ans à l’Université de l’Illinois à Chicago et dirigé et co-dirigé la revue Design Issue depuis le début des années 80. Je dois reconnaître qu’en tant que professeur d’histoire du design, j’ai développé le format de base de mon cours quand je commençais juste à enseigner sans changement important les années qui suivirent. C’était un cours apprécié, qui traitait essentiellement de design occidental avec une petite attention au Japon mais qui ne tenait absolument pas compte du reste du monde – l’Afrique, d’autres régions de l’Asie, le Moyen-Orient et l’Amérique du sud. Dans le même temps, avec les autres responsables de la revue Design Issue, nous avons commencé à solliciter des articles sur l’histoire du design en provenance de Turquie, du Mexique, du Brésil, de Singapour, de Hong Kong et d’autres pays situés en dehors du canon sur lequel mes cours étaient basés. J’ai aussi beaucoup voyagé dans d’autres pays pour des cours et des conférences et rencontré des designers et des historiens du design qui étaient engagés dans des recherches qui m’étaient auparavant étrangères. Dans beaucoup de pays visités, l’Anglais n’était pas la langue principale et il m’est apparu que les recherches menées dans d’autres langues devraient être mieux connues de la communauté anglophone du design.
Lors de ces rencontres avec des chercheurs en design dans différents pays, il devint évident pour moi que beaucoup d’entre eux se sentaient exclus du courant dominant de l’histoire du design et qu’ils auraient aimé être plus largement reconnus, bien que leurs travaux soient renommés dans leur pays. Heureusement, en tant que responsable de la revue Design Issues, j’étais en mesure d’encourager les chercheurs venant de pays extérieurs aux courants dominants de l’histoire du design de soumettre des articles au journal qui en a publié un grand nombre au fil des ans.
Je ne sais pas exactement quand, je peux juste dire que cela fait plus de 15 ans, j’ai commencé à me prendre au jeu d’écrire une histoire mondiale du design. J’ai parlé du projet à plusieurs éditeurs qui étaient intéressés par un tel ouvrage, d’abord en tant qu’ouvrage de référence puis beaucoup plus tard comme l’histoire en trois volumes que le projet est devenu. Une autre motivation à ce projet a été le constat que dans d’autres champs culturels liés – arts, musique, littérature et architecture – il y avait aussi un intérêt pour des questions similaires d’extension des canons. L’un des ouvrages qui m’a le plus inspiré est Technique et civilisation de Lewis Mumford, lui aussi conçu dans cette vision élargie, qui est mu par un souci passionné pour les effets de la technologie sur les modes de vies humains. Il fut publié en 1934 avec l’intention de corriger la négligence antérieure de ne pas considérer ce qu’il appelle l’ingénierie comme un objet d’étude.
Mumford a écrit sur la technologie dans une perspective mondiale. Des études de même ampleur existaient dans d’autres champs avant que Mumford n’écrive ce livre. Le champ littéraire, par exemple, avait inclus depuis longtemps une série d’études comparables et cela s’est poursuivi dans le domaine du cinéma avec l’analyse séminale complète du cinéma mondial de Paul Rotha en 1930, The Film Till Now. Plus récemment, des effort pour créer des analyses complètes ont été faites en histoire de l’art et en histoire de l’architecture ainsi qu’en histoire des techniques. Parmi ceux-là, Contemporary Art: World Currents de Terry Smith introduit une perspective globale dans l’analyse de l’art récent, tout en évitant le projet plus large de tracer les origines des pratiques actuelles de l’art dans toutes les cultures qui ont été négligées par les histoires dominantes antérieures. Dans A Global History of Architecture, Francis D. K. Ching, Mark Jarzombek et Vikramaditya Prakash ont produit un texte qui couvre le sujet de façon large et équilibrée dans une forme compacte, enfin, Arnold Pacey a développé un cadre pour une histoire mondiale des techniques dès 1991 dans son ouvrage Technology and World Civilization.
Écrire une histoire mondiale du design repose aussi sur des raisons intellectuelles et politiques. J’ai été amené à penser qu’il était injuste de perpétuer une histoire qui ne tienne pas compte des réalisations de personnes situées hors d’Europe ou des États-Unis, dans un récit qui traite d’un design valable partout selon ses propres termes, plutôt que comme une mesure de ce qui a été fait dans les pays occidentaux industrialisés. Un autre élan du projet a été le défi de construire un récit global, quelque chose qui n’avait pas encore été fait et corrigerait finalement les limitations de l’histoire que j’avais moi-même enseignées dans mon cours pendant des années. Ainsi, j’ai compris que l’histoire du design avait été enseignée partout avec les mêmes limitations culturelles, même dans les pays où les designers ne faisaient pas partie de cette histoire. Il m’a semblé qu’il était temps de remédier à cette situation. Ce projet m’a donné une vision de la façon dont le design s’est développé dans toutes les régions du monde à toutes les époques et je crois que je comprends beaucoup mieux le monde grâce à cela.
RECHERCHES POUR UNE HISTOIRE MONDIALE DU DESIGN.
Le corpus de recherche à partir duquel j’ai travaillé pour cette histoire est immense et ne peut être seulement décrit comme le résultat d’une stratégie conventionnelle d’investigation. Il y a d’abord les autres histoires du design, ainsi que les notes, brouillons et bibliographies des deux semestres de cours d’histoire du design que j’ai enseigné pendant 27 ans. J’ai suivi la publication des histoires du design depuis que j’ai commencé à travailler sur mon doctorat à la fin des années 70 et j’ai découvert qu’elles avaient laissé de vastes pans de l’histoire inexplorés. Elles ont solidifié le modèle pour l’histoire des objets et du graphisme qui a formé l’armature de mes propres recherches.
En tant que fondateur de Design Issues en 1982 et contributeur depuis son premier numéro en 1984, j’ai eu l’opportunité d’aider de nombreux historiens du design à préparer leur article avant leur publication. La première de ces collaborations, un travail avec Clive Dilnot sur son article séminal en deux parties « The State of Design History », qui a été publié dans les deux premiers numéros de la revue, m’a non seulement aidé à cadrer ma perspective, mais a aidé les autres à penser l’histoire du design comme une activité de recherche approfondie. En travaillant avec ces auteurs, j’ai développé des relations qui m’ont aidé quand je tentais d’élargir ma connaissance de l’histoire du design à des sujets que je ne connaissais alors que très peu. Non seulement il m’a semblé que les articles publiés par Design Issues au fil des années devenaient pertinents vis-à-vis de ma propre recherche, puisque certains chapitres de mon livre leur sont liés, mais j’ai aussi continué à échanger avec beaucoup d’auteurs de Design Issues, ainsi qu’avec d’autres historiens du design rencontrés pendant mes voyages et participations à des conférences autour du monde. Je tiens à ne pas sous-estimer la valeur de ces échanges. Certains collègues ont lu des brouillons de chapitre, d’autres m’ont proposé ou fourni des articles et des livres pendant que d’autres m’ont judicieusement suggéré des sujets à traiter.
Quand le Journal of Design History est apparu en 1988, il est aussi devenu une précieuse source d’articles sur de nombreux aspects du design qui n’étaient pas traités par les histoires conventionnelles. D’autres revues comme Technology and Culture ont également constitué de bonnes sources d’articles. Pour Design Discourse, un recueil d’articles extraits de Design Issues publié en 1989, j’avais préparé une bibliographie annotée de livres et d’articles de théoriciens de l’après-guerre, qui a continué à constituer une précieuse ressource de matériau pour ma recherche. Deux ans auparavant, j’avais publié Design History Bibliography pour l’International Council of Graphic Design Association (ICOGRADA), qui m’avait permis de faire un tour d’horizon d’ouvrages sur des sujets divers, à la fois généraux ou spécifiques dans le temps et dans l’espace, certains en d’autres langues qu’en anglais. Ces bibliographies, ainsi que toutes celles que j’avais pu collecter au fil du temps devinrent la base de la première phase de ma recherche. Cependant, ayant décidé d’écrire une histoire mondiale, je devais chercher bien au delà de la matière ainsi rassemblée. Je me suis servi de nombreux livres sur des sujets connexes comme l’ingénierie, le développement industriel, l’histoire économique et politique. Je me suis aussi appuyé sur l’immense quantité de littérature consacrée à des sujets spécialisés comme la guerre et les armes, l’histoire de l’automobile et l’histoire de l’aviation. Pour chacun de ces sujets et pour d’autres, il y a à la fois des professionnels et des amateurs qui ont accompli une grande quantité de recherches. À côté de ces livres, j’ai trouvé plusieurs ouvrages issus du champ des Cultural studies ou Area studies qui traitaient de sujet pertinents. De tels ouvrages sont d’ordinaire plutôt spécialisés et contiennent une mine d’informations qui étaient parfois les seules que je pouvais trouver sur un sujet particulier.
Cette histoire mondiale a été fortement tributaire d’internet dont je me suis constamment servi en écrivant. J’ai trouvé un grand nombre de sites de tous types. Ils ont été précieux pour apporter de nouvelles informations ou en confirmer certaines. Les expositions en ligne, les catalogues de vente aux enchère, et des sites spécialisés tenus par des amateurs m’ont également été d’une aide précieuse. De plus, j’ai pu trouver une quantité incroyable de matière visuelle en cherchant sur Google Images ou j’ai trouvé des exemples qui m’ont servi à sélectionner la matière visuelle de cet ouvrage.
J’ai pu tirer parti de la littérature disponible dans plusieurs langues en plus de l’anglais, notamment en français, espagnol, portugais, italien et allemand, tout en me débattant avec d’autres langues quand c’était nécessaire. Pour certains chapitres, notamment ceux qui couvrent le design en Amérique Latine, il n’y avait quasiment aucun texte en anglais et j’ai du m’appuyer sur des sources en quasi totalité non anglophone.
Le choix des pays que j’ai traité peut sembler incomplet dans certaines sections et peut soulever des questions. Ma sélection est due pour une large part à la matière dont je disposais. J’ai pu passer à côté de certaines ressources mais cette histoire mondiale du design ne prétend pas être définitive et aucune de ses lacunes ne pourront pas être comblées par d’autres recherches.
LE DESIGN AUJOURD’HUI ET DANS LE FUTUR
Les avancées technologiques ont rapidement accéléré ces dernières années et le design y a pris une part intégrante. Une somme vertigineuse de nouveaux produits et media ont inondé les sociétés et les cultures dans le monde entier et aucun indicateur ne semble vouloir ralentir ce rythme. Quoi qu’il en soit, il croîtra, puisque de nouveaux appareils, outils et systèmes sont introduits en réponse à une demande croissante de biens et de services. L’augmentation de l’usage de la technologie pour assister les actions humaines va devenir essentiel à la vie dans le futur comme on ne l’a encore jamais connu dans le passé, étant donné le rythme auquel les appareils continuent de remplacer ce qui était auparavant des échanges humains directs.
Concomitant à cette accélération technologique, surgissent de nombreux bouleversements environnementaux et sociaux à l’origine d’une série de problèmes à grande échelle qui requièrent de nouvelles manières de penser et de s’organiser. Cela inclut non seulement les problèmes naturels, comme le changement climatique qui provoque des tornades, des ouragans et des inondations, mais aussi des problèmes culturels – les destructions à grande échelle des guerres et les mouvements massifs de réfugiés – ainsi que la pénurie de logement, de nourriture et d’eau. L’une des sources du problème à l’échelle humaine est la croissance exponentielle de la population, qui oblige l’humanité à prendre en considération différentes façons d’organiser la vie pour satisfaire un maximum d’individus avec des réserves de ressources limitées.
Les défis que les êtres humains affrontent aujourd’hui, et devront affronter à un degré encore plus élevé demain, ont provoqué des changements significatifs dans la façon dont nous comprenons le potentiel du design à les prendre en charge. Des penseurs visionnaires comme John Chris Jones en Grande-Bretagne et Richard Buckminster Fuller aux États-Unis ont envisagé depuis longtemps le design comme une activité qui pénètrerait davantage ce que les humains font. Aujourd’hui, nous sommes les témoins de l’élargissement d’une définition du design, envisagé comme une activité de plus en plus ouverte et dont les nombreuses et différentes pratiques comme le design de logiciel, le design de produits, l’ingénierie, le design de service ou la communication visuelle partagent des caractéristiques qui contribuent à percevoir le monde comme une totalité, où le design déploie une gamme qui va des autoroutes aux feux de signalisation, en passant par les caisses de supermarché, panneaux publicitaires et tasses à expresso. Observer ces phénomènes disparates comme des phénomènes liés, même s’il ne sont pas traités par une seule et même histoire, rend possible de généraliser le design et de commencer à formuler des théories sur sa nature qui transcende ses pratiques distinctes. De telles théories sont précieuses, certains diraient nécessaires, pour les raisons suivantes : elles nous permettent de comprendre le design comme un phénomène dont les effets sont divers ; elles rendent possible d’incorporer de nouvelles formes de pratiques comme le design d’interaction, le design de service ou le design d’expérience – qui ont tous aujourd’hui leurs propres réseaux et parfois leurs propres associations – dans un cadre plus large qui les relie aux autres pratiques plus anciennes ; elles permettent aux chercheurs de diverses disciplines reliées au design de trouver des connexions entre les travaux de chacun et de construire une communauté de recherche en design ouverte ; et, peut-être est-ce là le plus important, elles rendent possible la formulation de nouvelles pratiques qui transcendent les frontières spécialisées antérieures, et demandent la coordination d’experts issus de domaines divers.
Puisque le design devient plus pertinent dans la manière dont nous pensons traiter la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, il devient nécessaire de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Nous devons démêler les divers aspects qui nous ramènent aux origines de modes de pensée et de vie particuliers, résultant du monde du design multiforme dans lequel nous nous trouvons. Pourquoi des objets qui fonctionnent à l’aide de batteries remplacent-ils les appareils qui fonctionnent avec l’énergie du vent ? Pourquoi les tramways électriques disparaissent-ils de tant de villes américaines ? Pourquoi la modernisation a mis tant de temps à arriver dans autant de pays ? Pourquoi avons nous adopté les machines comme l’incarnation du progrès alors que tant de pratiques traditionnelles qui les ont précédées suffisaient ? Pourquoi abandonnons-nous si vite l’imprimé alors qu’il a été une telle source de satisfaction et d’efficacité ? Pour traiter de ces questions et de bien d’autres, une compréhension de l’histoire du design est cruciale.
L’histoire est le dépositaire de notre expérience collective. Elle rapporte le pire et le meilleur de ce que nous avons accompli en tant qu’espèce. Nous devons être conscient de l’un et de l’autre afin d’étalonner nos actions présentes et à venir. L’histoire du design fournit ainsi les balises à tous ceux qui veulent comprendre les conséquences et le potentiel des pratiques du design dans leurs différentes formes. Une telle compréhension devient essentielle en proportion de l’influence croissante du design dans la vie de chacun d’entre nous.