Revue créée par Le Corbusier et Amédée Ozefant en 1920.
28 numéros de 1920 à 1925.
La revue est accessible en version numérisée sur le portail documentaire de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
J’ai reproduit ci-dessous un des textes introductif paru dans le premier numéro de la revue.
L’ESPRIT NOUVEAU
« Il y a un esprit nouveau : c’est un esprit de construction et de synthèse guidé par une conception claire.
Quoi qu’on en pense, il anime, aujourd’hui, la plus grande partie de l’activité humaine.
Né dans quelques fortes individualités au XIXè siècle – époque de préparation, donc époque de trouble – l’esprit nouveau mène, à l’heure présente, toutes les élites : les élites des arts et des lettres, aussi bien que les élites des sciences et de l’industrie. La société, elle-même, tend enfin à s’organiser selon l’esprit nouveau.
Ainsi que le montre l’histoire, les forces libérées en des siècles de bouillonnement et de désordre, se conjuguent un beau jour et s’orientent pour un effort commun. Et nous voyons alors surgir les grandes époques.
Une grande époque vient de commencer, car toutes les formes de l’activité humaine s’organisent enfin selon le même principe ; l’esprit de construction et de synthèse d’ordre et de volonté consciente qui se manifeste de nouveau, n’est pas moins indispensable, qu’on le sache, aux arts et aux lettres, qu’aux sciences pures ou appliquées ou qu’à la philosophie.
Que serait un génie sans esprit constructif ? Il ne pourrait rien réaliser de ses inspirations ! Il ne laisserait point de chefs-d’œuvre comme témoignages. Il passerait sans laisser de traces.
Nous voulons, au contraire, affirmer avec force que l’esprit constructif est aussi nécessaire pour créer un tableau ou un poème que pour bâtir un pont.
Bien mieux : nos affirmons la nécessité des systèmes esthétiques pour les créateurs.
L’art, comme la science, comme la philosophie, c’est l’ordre mis par l’homme dans ses représentations. Il n’y a pas d’œuvre d’art sans système esthétique plus ou moins conscient, plus ou moins élaboré chez celui qui l’a créée, comme il n’y a pas de travail scientifique ou philosophique auquel n’ont présidé des conceptions systématiques plus ou moins avouées, des hypothèses plus ou moins dégagées. Les systèmes esthétiques, scientifiques, philosophiques sont des édifices, des constructions qui mettent en œuvre des matériaux déterminés.
La réflexion du créateur doit porter tant sur la construction qu’il veut élever que sur les matériaux qu’il veut mettre en œuvre.
Mais cet esprit nouveau qui n’existe encore que chez quelques-uns – les meilleurs – dans les arts et dans les lettres, il faut l’aider à triompher d’une manière éclatante. On peut hâter l’évolution par une intervention bien calculée. Nous devons sortir certaines vérités de la pénombre et leur permettre d’agir de toute leur force efficace en les plaçant en pleine lumière.
Puisque nous nous occuperons surtout ici d’esthétique, voici ce que nous nous proposons de faire pour notre part :
Préciser d’abord la position propre et les idées directrices de chacun des créateurs d’aujourd’hui. Les analyser, en souligner la force ou la faiblesse, ce qu’elles ont d’exceptionnel ou de général. Mettre ainsi un peu d’ordre dans notre panorama esthétique.
Analyser les œuvres de maintenant pour y montrer l’existence de plus en plus affirmée de l’esprit constructif ; d’autre part, faire bien comprendre ce qu’il est en faisant saillir les caractère les plus marquants des chefs-d’œuvre du passé.
Enfin, faire connaître les résultats de l’esthétique expérimentale qui, de jour en jour, montre plus clairement les rapports étroits qui unissent l’homme à la nature.
Par ce côté encore, les arts et les sciences se touchent étroitement.
Aussi faut-il qu’un contact possible indispensable s’établisse entre le monde des arts, des lettres, d’une part, et d’autre part, le monde des sciences et de l’industrie (sciences appliquées). L’ “Esprit Nouveau” fait de ce rapprochement un des articles les plus importants de son programme.
Travailler à la synthèses des diverses activités de l’heure présente c’est travailler à l’avènement de l’esprit nouveau. »