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Gaetano Pesce, Sur l’art et le design, 2008.

Extrait de Jean-Pierre Greff (dir.), AC|DC. Art Contemporain, Design Contemporain, Haute école d'art et de design - Genève, 2008, p. 48-49.


« (…)
Je voudrais aller tout de suite au cœur du sujet art et design. On parle trop d’art et trop de design. Il est vrai que d’une certaine façon, dans la tradition, c’est mieux de parler de peinture, de sculpture, etc., parce que l’on se comprend. On peut parler de redesign ou encore de construction, de building en anglais ou d’edilizia en italien, mais pas d’architecture. L’architecture, c’est quelque chose qui survient de façon très, très rare et quand trois conditions sont réunies, à savoir innovation du langage, innovation de la technique et innovation de la matière. Dans ce que l’on a vu précédemment, il n’y avait ni innovation du langage, ni innovation de la technique, ni innovation de la matière. Le meilleur travail que l’on a vu, c’est celui de Franck Gehry, mais il s’agit plutôt de théâtre que d’architecture. L’architecture est quelque chose de très complexe. Parlons d’edilizia et essayons de vraiment comprendre cela. Il faut parler d’edilizia, de bâtiment et laisser de côté l’architecte et l’architecture, parce que ce sont des spectres, on ne les voit jamais, ou presque.
Et si l’on parle d’art, de quoi parle-t-on ? On ne parle pas d’art mais de portrait. Dans le passé, l’art a toujours été fait de produits dont les gens avaient besoin. Titien par exemple était un peintre qui faisait des portraits. Ses portraits étaient commandés par un client, qui avait par exemple envie de se souvenir de son grand-père. Le client se rendait chez Titien et lui commandait un portrait ; si Titien ne faisait pas un portrait ressemblant à l’aïeul, le client le rendait. À cette époque là, on ne parlait pas d’art. Je vous rappelle qu’Andrea Mantegna, aujourd’hui considéré comme un très grand artiste, a fait un portrait d’Isabella d’Este, femme d’une force extraordinaire, quand elle avait 17 ans. Lorsque celle-ci l’a vu, elle lui a dit : “vous vous le mettez au cul. Il ne me ressemble pas!” Donc, pas trop de discours. Parlons simplement de travail. Le travail, c’est que lorsque quelqu’un fait des portraits, ils doivent être ressemblants, ils doivent être de bons produits. Si l’on pense aux vues de Venise de Canaletto, il s’agit d’autre chose. À l’époque il n’y avait pas de caméra, donc quelqu’un qui voyageait de Genève à Venise, que montrait-il à son retour s’il n’y avait pas de photos ? Il devait appeler un peintre et commander une vue de Venise ; il demandait à Canaletto, il avait de la chance, Canaletto n’était pas le dernier des imbéciles, il exécutait, certes, une vue de Venise, mais il peignait également un chef-d’œuvre.
À cette époque n’existaient pas non plus les revues érotiques, alors comment faisaient les hommes pour s’exciter ? Ils commandaient un nu de femme ! De quel type d’art s’agissait-il ? C’était une époque à laquelle la mode des riches voulait que l’on ait des tableaux représentant des morceaux de viande pour montrer que l’on mangeait bien en famille, que l’on était d’un certain niveau social. On ne parlait pas d’art, on parlait de produit qui sert à montrer un certain état social. Ce n’était pas considéré comme de l’art, c’était simplement un produit que l’on offrait à quelqu’un qui l’accrochait dans sa salle à manger pour impressionner ses invités. Par exemple, un des nus de Courbet a été le cadeau d’un Duc de Milan au roi de France. Dans la lettre qui accompagnait le tableau, pas un seul mot de la qualité artistique de l’œuvre. Il ne parle que de beauté, de sexualité et d’excitation. Donc, parlons moins d’art, parlons moins d’artistes ! Surtout aujourd’hui où quelqu’un qui n’a pas de métier, qui ne fait rien du matin au soir et à qui on demande ce qu’il fait répond habituellement : “je suis un artiste”. Beaucoup de choses sont devenues obsolètes. En revanche, si l’on veut parler un peu de design, je voudrais évoquer Duchamp. Duchamp était un très grand artiste, quelqu’un pour qui il faut utiliser le mot. Il a mis dans une galerie d’art des objets industriels, ce qui fait encore réfléchir aujourd’hui. En très peu de mots, cela signifie : l’art d’aujourd’hui est lié à une idée de production, de matériaux, de goûts, de marché. L’Italie a connu un mouvement artistique appelé futurisme, qui a canonisé le mouvement, la production, la vapeur, la mécanique, l’industrie et c’est pour cela que quelqu’un comme Colombo, plutôt que d’être un artiste traditionnel, a choisi d’être designer, parce que le futur de l’art, c’est ce qu’on appelle le design. Mais il faut faire attention à une chose, le design n’est pas le redesign. Le design, est comme l’architecture, une chose très rare. »

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