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Emilio Ambasz, traduction de la préface du catalogue d’exposition Italy: The New Domestic Landscape, achievements and problems of Italian design, 1972.

[Pages 11 et 12 — Les images ne figurent pas dans le texte original]

Le mouvement moderne a postulé pendant longtemps que si tous les objets des hommes étaient bien conçus, la joie et l’harmonie triompheraient éternellement. De nombreux indices issus de sources différentes prouvent que, bien qu’un bon design est une condition nécessaire, il ne suffit pas à lui tout seul à garantir automatiquement une solution à tous les problèmes qu’il cherche à résoudre en plus de ceux qu’il va lui-même générer. Par conséquent, beaucoup de designer élargissent leur traditionnel intérêt pour l’esthétique de l’objet à l’esthétique des usages pour lesquels cet objet est conçu. Ainsi, l’objet n’est plus envisagé comme une entité isolée, autosuffisante, mais comme une part intégrante de l’environnement naturel et socioculturel.
Ce phénomène s’empare des designers du monde entier, mais la situation n’est nulle part aussi complexe, aussi cristallisée et aussi riche d’exemples qu’en Italie. Pendant cette dernière décennie, l’Italie est devenue l’une des forces dominantes de la création et de la critique du design. En la révélant, le MoMA a voulu, d’abord, rendre hommage à la réussite toute particulière des designers italiens, ensuite, de manière plus générale, rendre compte des problèmes du design actuel et des diverses approches qui cherchent à les résoudre.
L’histoire des relations entre le Musée et les architectes italien est longue. Elle commence en 1932, quand — et c’était une innovation pour un musée “d’art” — un département d’architecture distinct, qui comprenait aussi le design industriel, est crée au sein de notre institution. Il émanait directement de la conviction qu’avait Alfred H. Barr, le premier directeur du Musée, que les significations implicites des travaux d’architecture et de design devaient être évaluées et étudiées aussi consciencieusement que la peinture ou la sculpture. C’est ainsi qu’un département distinct de Design industriel fut crée, en 1949, la combinaison des deux formant l’actuel Département d’Architecture et de Design.
Au fil des ans, de nombreux objets du design italien ont été ajoutés à la collection du Musée et montrés dans des expositions temporaires. Par exemple, la prééminence de l’Italie dans l’industrie automobile à été célébrée par trois fois. La Cisitalia, dessinée par Pinin Farina en 1946 et fabriquée en 1949, était présentée dans l’exposition Huit automobiles que Philip Jonhson et Arthur Drexler, actuel directeur du Département d’Architecture et de Design, avaient organisée en 1951 ; la Lancia GT, dessinée par Pinin Farina en 1951 et la SIATA Daina 1400, dont il a conçu la carrosserie, étaient montrées dans l’exposition Dix automobiles organisée par M. Drexler dans le jardin du musée en 1953 avant de choisir, en 1966, la PF Sigma Italy 63 de Pinin Farina, la Vallelunga de Tomaso, avec Ghia pour la carrosserie et la Lamborghini P-400 Miura, de Bertone, pour une exposition intitulée : Les voitures de course : vers une automobile rationnelle. En 1952, Leo Lionni fut le commissaire invité de l’exposition Olivetti : le design dans l’industrie. En 1954, Le Mouvement moderne en Italie : Architecture et Design organisée par Ada Louise Huxtable pour le Département des expositions itinérantes, fut montrée au Musée avant de voyager à travers tous les États-Unis et au Canada. En 1955, Bruno Munari (avec l’américain Alvin Lustig) fut invité dans l’exposition Deux designers graphiques, dirigée par Mildred Constantine. Le Musée fut honoré à son tour en recevant le Gran Premio Internazionale Compasso d’Oro en reconnaissance de la contribution du Département à la diffusion et à la reconnaissance du design contemporain.

Bien que la présente exposition fut conçue en mai 1970, le travail ne commença pleinement qu’en janvier 1971, après de nombreux obstacles financiers et administratifs. Le temps de préparation pour une exposition de cette taille et de cette envergure est relativement long, en partie en raison de ses complexités intrinsèques et en partie en raison du manque d’espaces adaptés dans le Musée pour une aussi grande exposition. Même si le concept doit conserver sa fraîcheur originelle, cette longue période de gestation présente l’avantage de devoir en réexaminer constamment la matière, en réinterroger les hypothèses de départ, y compris ses propres motivations à se poser de telles questions. Au début des recherches pour l’exposition, le design italien semblait si éblouissant que l’on pouvait penser que la seule transplantation de ses manifestations les plus marquantes suffirait à rendre tout l’éclat de leur terreau originel. Un examen plus approfondi a vite conclu à l’évidence que le problème était loin d’être si simple. Le design en Italie aujourd’hui ne présente pas un ensemble d’idées cohérent, ni pour ses formes, ni pour son idéologie. Ses va-et-vient complexes rendent nécessaire de développer ce que l’on pourrait appeler des techniques de “provocation” qui donneraient lieu à une exposition révélant les contradictions et les conflits sous-jacents à une production fiévreuse d’objets, qui, constamment entretenus par les designers, répandent parmi eux un doute quant à la signification de leur activité. La question du design italien est trop vivante pour pouvoir être disséquée, et les éléments qui la composent sont trop contradictoires pour s’adapter à un modèle unique de classification que seul un imprudent pourrait proposer. Pour aider à comprendre le processus d’existence du design italien actuel, une douzaine de designers parmi les plus remarquables ont été choisis, en fonction de ce que représentent leurs intentions formelles et idéologiques, et chacun a été invité à réaliser une exposition individuelle en guise de déclaration d’intention. Un concours adressé aux jeunes designers a été organisé pour leur donner l’opportunité similaire d’exposer leur travail.
Aujourd’hui le décor est en place et la scène est éclairée. Les présentations de toute évidence individuelles que nous verrons (et que, dans la conclusion de cette publication nous tenterons de synthétiser) ne sont pas les segments bien définis et découpés d’une réalité préexistante, elles ont été spécialement conçues pour l’occasion. Chacune d’entre elle représente, de la part de son designer, une évaluation de son propre passé et une tentative de définir son positionnement actuel. Dans la plupart des cas, les designers ont choisis de poser de nouvelles questions plutôt que de présenter une synthèse de ce qu’ils ont réalisé jusque là. Leurs questions, si elles sont parfois assez rhétoriques, n’en sont pas moins tranchantes ; et la somme de tous leurs espoirs et désespoirs, bien qu’ils soient contingents à leur langage personnel, n’en sont pas moins capables de retranscrire les doutes et les attentes que nous partageons tous.

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