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Raymond Guidot, Aux origines de la production de masse, 2013.

Raymond Guidot, Histoire des objets, Chronique du design Industriel, Hazan, 2013 — « Aux origines de la production de masse », p.10.  

Si le titre de l’ouvrage laisse comprendre que l’auteur ne traite dans son ouvrage que des objets de l’ère industrielle, cela ne signifie pas pour autant pour lui que le design commence à cette époque. Cela signifierait plutôt le régime nouveau que la Révolution industrielle applique à la fabrication d’objets et la rupture qu’elle initie, faisant du « design industriel » une discipline, une pratique et un objet de recherche en lui-même. Les pages de sa chronique s’ouvrent d’ailleurs, mais brièvement, sur le biface Acheuléen (paléolithique inférieur, vers 300 000 ans avant J.-C.), et le Petit trône de Toutankhamon (XVIIIe dynastie, Nouveau Royaume, Egypte, vers 1336 à 1327 avant J.-C.) propulsant les origines du design bien au delà du XVIIIe siècle et de ses frontières occidentales. 


Lorsque l’on parle de « révolution industrielle », on pense immédiatement à la production massive et mécanisée d’objets utilitaires. Ces mots font surgir à l’esprit des expressions telles que « reproduction du geste » (mécanique en l’occurrence), « répétition de la forme », « production de série » … Si l’on s’en tient à ces seules notions, les questions qui se posent sont les suivantes. Dans quelle mesure peut-on les employer pour la période précédant la révolution industrielle telle qu’elle naît et se développe en Grande-Bretagne dès le début du XVIIIe siècle ? Et, si ces concepts sont pertinents, jusqu’où peut-on remonter dans le temps?
Si nous considérons qu’avant ce tournant décisif toute production consistant à transformer en bien matériel une matière première essentiellement naturelle passait par des mains expertes d’artisans, nous pouvons effectivement remonter très loin dans les siècles et les millénaires, et faire état de ce que nous savons de l’action de l’homme sur ces matières et de la maîtrise acquise dans leur mise en œuvre. Sur ce chapitre, l’ouvrage d’André Leroi-Gourhan L’Homme et la matière est riche d’enseignements.
Remonter dans le temps à la découverte de savoir-faire artisanaux, c’est suivre et observer, tout au long de l’histoire, le jeu de mains habiles capables de fabriquer une pièce exceptionnelle, unique, mais capables aussi, lorsqu’elles façonnent des objets usuels, de reproduire sans limite quantitative un archétype* qui a fait ses preuves.
À partir des mêmes matières et des mêmes outils — procédant d’héritages séculaires la plupart du temps —, des mêmes gestes naissent les mêmes formes utiles. Il est bien évident que nous parlons ici d’objets aboutis, de ceux qui, dans le cadre d’une certaine société, sur une période de temps donnée (laquelle peut être longue, parfois remonter très loin dans le temps), répondent le mieux à l’adéquation entre forme et fonction. Ce que nous prenons en compte, par conséquent, ce sont les matériaux disponibles et l’état des techniques qui permettent au façonnier de les travailler. De là, nous pouvons effectivement remonter très loin, aux origines mêmes de « l’industrie » telles que les préhistoriens nous les font découvrir et appréhender.
Ainsi, depuis la nuit des temps, le biface acheuléen se présente-t-il déjà comme l’exemple emblématique de l’objet-outil dans lequel la perfection de la forme découle directement de la fonction.

* Dans le monde industriel d’aujourd’hui, on utilise un mot ancien (moitié du XVIe siècle), mais qui garde encore tout son sens. On parle de « prototype », du latin prototypus ou du grec prôtotupos.

Histoire du design