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Raymond Guidot, De fer et de charbon, À toute vapeur, 2013.

Raymond Guidot, Histoire des objets, Chronique du design Industriel, Hazan, 2013 — « Aux origines de la production de masse », p.18-25.  

De fer et de charbon

Certes, les historiens des techniques comme Jean Gimpel ou Bertrand Gille n’ont pas hésité à parler d’une révolution industrielle dès le XIIe siècle. Leur thèse repose sur le fait qu’à cette époque, dans l’ombre des monastères bénédictins et cisterciens, des moines inventifs concevaient des machines mues par des roues à aubes tournant au fil de l’eau, en même temps que l’on assistait dans toute l’Europe occidentale au développement spectaculaire de l’industrie sidérurgique1. Mais, à la différence de cette révolution médiévale, riche de conséquences puisqu’elle entraîna, au stade de la fabrication, de nouveaux modes opératoires, celle du XVIIIe siècle devait avoir, par son ampleur, des implications tout à la fois politiques, économiques, morales et sociales au plan international. Précisons que celle-ci débuta avec la mise au point de procédés permettant la production massive de matériaux ferreux. À commencer par la fonte de fer, grâce à l’utilisation d’un combustible conservant une résistance à la compression jusqu’à un stade d’ignition avancé. Il s’agit du coke, résultant de la distillation d’une certaine quantité de houille grasse soumise à une température comprise entre 800°C et 1100°C, qui provoque également une expansion du charbon. La résistance du coke durant sa combustion autorisant une charge de minerai plus importante, la taille des hauts fourneaux a pu s’accroître considérablement, d’où la possibilité d’obtenir de la fonte en très grande quantité. Le procédé, élaboré dès 1709 au sein de la famille de maîtres de forges quakers Darby, prit véritablement effet en 1735 et permit en 1779 l’édification du premier grand ouvrage en fonte, le pont de Coalbrookdale sur la Severn, en même temps que la production d’objets utilitaires en grande série. La décarburation de la fonte obtenue par Henri Cort en 1784 permit une production massive de fer pur. Ainsi le XVIIIe siècle s’acheva-t-il avec la mise à disposition de l’industrie de deux matériaux ferreux aux propriétés rigoureusement opposées : la fonte de fer, sorte de superpierre résistant bien à des efforts de compression intenses, mais mal aux chocs et ne pouvant pas être forgée ; le fer pur, ductile donc forgeable, résistant aux chocs et aux efforts de traction.

À toute vapeur

Grâce à eux, la révolution industrielle a commencé. Elle ne prendra toutefois son plein essor qu’avec la mise au point d’une machine produisant une énergie artificielle et que l’on peut installer n’importe où, une machine qui se substituera avantageusement à la roue à aubes, laquelle ne peut se mouvoir que sur un cours d’eau. Ce sera chose faite lorsque James Watt, à l’orée du XIXe siècle, aura rendue opérationnelle la machine à vapeur, en partant de la pompe à feu de Thomas Newcomen servant à aspirer les eaux d’infiltration dans les mines. Non seulement cette machine à vapeur va être capable, à poste fixe, de faire fonctionner à son tour une pompe pour extraire l’eau des fonds de mine, mais elle pourra également agir sur des pistons pour insuffler de l’air sous pression à la base des hauts fourneaux ou actionner des machines outils.
Munie de roues et montée sur rails, donnant forme aux rêve d’un Joseph Cugnot qui construisait son fardier entre 1765 et 1770, ou d’un Richard Trevithick qui fabriquait en 1801 sa première voiture à vapeur, la locomotive à vapeur devient, avec les Stephenson, opérationnelle en 1829. Bientôt, elle sillonnera le monde.

Le verre, matériau d’architecture

(…)
Les toitures de grande ampleur enjambant la voie ferrée sont les premières structures légères constituées de fers profilés soutenant de larges baies vitrées, tandis que les gares elles-mêmes, dotées de salles d’attente, de cafés et de restaurants, se transforment en lieux d’accueil et de convivialité. Avec de vastes espaces de rencontres et d’échanges où le lumière pénètre en abondance — marchés couverts, galeries marchandes et grandes serres, rendus possibles, tout comme les gares, grâce à l’alliance du fer et du verre —, le rêve des bâtisseurs de cathédrales se réalise au-delà de toute espérance.

1. De ce point de vue, pourquoi ne pas parler déjà de révolution industrielle 3000 ans avant J.-C. ? Le moulage du bronze (alliage de cuivre et d’étain), en faisant intervenir des empreintes creusées dans la pierre où l’on verse le métal en fusion, permet alors d’obtenir de manière répétitive (production de série) des pièces rigoureusement identiques.

Histoire du design