Texte extrait de l'ouvrage dirigé par Catherine Geel, Écrits d'Alessandro Mendini, Les presses du réel, 2014.
Ce texte est initialement paru sous le titre "Questa Mostra...", dans l'ouvrage qui accompagnait l'exposition Oggeto Banale à la Biennale d'Architecture de Venise en 1980, Elogio del banale, Barbara Radice (éd.), Studio Forma/Alchymia, 1980.
« l’exposition sur l’objet banal réalisée pour la première Exposition internationale d’architecture à la Biennale de Venise en 1980 repose sur les considérations suivantes. la multitude et la série contiennent et impliquent le concept de banal. La multiplication des chefs-d’œuvre est une utopie intellectuelle. Il peut par contre exister une théorie de l'”authentiquement faux”. On peut envisager une méthodologie de projet banale, un design et une architecture “néobanale” qui sont culturellement déjà autoréférencés. Une carte à jouer à la fois possible et choquante à l’heure où toutes les méthodes de projet “postmodernes” marquent le pas. L’explosion du banal est une explosion en chaîne : pourquoi ne pas utiliser le rapport naturel, intime et mythique qui s’instaure entre l’homme et l’objet soi-disant “laid” dans n’importe quelle société de masse ? À l’homme banal, objets et maisons banales : exaltation paradoxale des conventions, triomphe de l’authentique raté, renversement du bon goût, disponibilité envers une fiction esthétique qui corresponde à la fiction de la vie quotidienne, ne demandant ni engagement ni effort, non dramatique, mais captivante et relaxante. “Banal” détermine la prise de conscience du quotidien ; c’est le rapport existentiel de l’homme à l’esthétique bon marché, une espèce d’image spéculaire de l’art.
Le banal est un fait politique directement lié à la force de la classe moyenne ; il est le cheval de Troie des masses populaires pour se réapproprier les arts. Le banal plaît à l’homme de masse parce qu’il est fait de lui-même, parce qu’il est, par définition, un phénomène de quantité. Parce qu’il est justement capable d’instaurer les relations “vraies”, heure par heure, des hommes avec les objets qui les entourent. Le banal révèle qu’il est cette esthétique, cette vraie capacité créative, ce modèle formel qui s’établit véritablement chez la plupart des individus. Le banal est un art appliqué et adapté à la vie de tous et de tous les jours. Le style atteint en projetant la maison banale, c’est à dire la maison comme souvenir d’elle-même, est cyniquement chaotique, exubérant, iconique, psychologique, impuissant et pessimiste ; mais c’est aussi le style non violent de la “conscience malheureuse”, si typique de cette homme de masse qui sait qu’il ne peut plus suivre le mirage prolétaire.
À ce titre, “Projet banal” et amoralité stylistique peuvent être un nouveau courant de pensée. Il est dès lors possible de concevoir l’acte de projeter comme un phénomène infini de redesign et d’imagination qui part d’objets déjà existants dans le commerce pour arriver aux mêmes objets, à condition qu’ils aient été transformés dans leur image et que d’objets “déchargés”, ils deviennent “chargés”.
Une attitude critique et maniériste, justifiée par le peu de clarté des instances de projet aujourd’hui, peut nous conduire vers des espaces inexplorés. Il est urgent de concentrer notre attention sur les objets “sans qualités”, et de réfléchir au malaise contemporain existant autour de l’acte de projeter. Les projets de l’homme de masse sont basés sur des données insuffisantes, tout comme ses phrases pareilles aux lieux communs qu’on échange sur la plage ou aux paroles d’un astronaute, parce que dites en l’absence de gravité, et tout comme sa vie entière n’est qu’un ajustement maniaque et imperceptible, une séquence continue de “tics”. »