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Victor Margolin, The Arts & Crafts Movement in Britain.

Extrait de Victor Margolin, World History of Design, « General Introduction », Bloomsbury, 2015, p. 229-246.

Les images ont été rajoutées dans la traduction.


Le terme “arts and crafts” n’est pas utilisé avant le mois de mai 1887. C’est l’artisan relieur T.J. Cobden-Sanderson qui propose de l’intégrer au nom d’une nouvelle association, The Arts and Crafts Exhibition Society, dont le but est de montrer au public le travail des artisans et des artistes décorateurs. Il a par la suite été utilisé pour dénommer un groupe de designers anglais, mené par William Morris, qui, depuis les années 1860, cherchait des alternatives au système de production de masse en usine. Certains, en créant de petites entreprises, se consacraient uniquement à une production artisanale, tandis que d’autres combinaient à l’artisanat la conception de modèles et de prototypes pour la fabrication mécanisée. Les discours académiques mentionnent souvent ces actions collectives comme s’il s’agissait d’un seul et même mouvement, ce qu’elles sont, mais jusqu’à un certain point seulement car en fait, ces designers ne partageaient ni esthétique commune ni préférence clairement exprimée pour l’artisanat plutôt que pour la fabrication machinique.
Ce qu’ils partageaient en revanche était que le design pouvait être davantage qu’une activité commerciale consistant à produire des biens de mauvaise qualité. Si quelque chose devait les réunir, c’était un intérêt commun pour la qualité et le désir de fabriquer de belles choses. Beaucoup étaient influencés par les écrits de John Ruskin et plus tard par les conférences et les textes de William Morris, qui plaidaient en faveur d’un rapprochement entre les beaux-arts et les arts décoratifs, démontraient l’importance de la satisfaction au travail et de la cohabitation de différentes formes d’art décoratif dans un même atelier.
La plupart de ce que les designer Arts & Crafts produisaient était destiné à un usage domestique, occasionnellement pour un usage religieux. Bien que William Morris souhaitait que chacun soit entouré de beauté, les produits des Arts & Crafts étaient essentiellement consommés par la classe moyenne, tout simplement parce qu’il était impossible de produire des biens en pièce unique ou en très petite série à très bas coût.
Morris n’abandonna pas pour autant son idéal de produire de choses belles pour tout le monde, même si, pour satisfaire son but, il ne pouvait en réalité faire qu’améliorer la qualité des produits manufacturés. La réforme du design en Europe continentale et aux États-Unis a pu être prise en charge en grande partie parce que Morris et les autres designers des Arts & Crafts ont tenté d’accomplir cette tâche.
Enfant, William Morris (1834-1896), qui allait devenir le plus important et le plus talentueux designer du mouvement Arts & Crafts, était fasciné par la vie médiévale. Il avait lu, avant d’atteindre ses 9 ans, tous les romans de la série Waverley de Sir Walter Scott, qui racontait dans un style populaire les hauts-faits du Roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde. Morris entre à Oxford en 1853 où il rencontre Edward Burne-Jones (1833-1898) qui restera l’un de ses amis les plus chers jusqu’à la fin de sa vie. Tous deux furent influencés aussi bien par les peintre pré-raphaelites que par les écrits de Carlyle et Ruskin. Morris commence alors à écrire des poèmes, inspirés par les récits médiévaux de Geoffrey Chaucer ainsi que par les poèmes de plus jeunes auteurs comme Tennyson et Browning. Vers 1856, il quitte Oxford et commence à travailler pour le London architectural office de G.E. Street (1824-1881), bien qu’il abandonne rapidement l’architecture pour l’art. Dans les bureaux de Street, il rencontre Philip Webb (1831-1915), qui allait devenir un autre de ses amis intimes et qui sera l’architecte de sa première maison, la Red House, construite en 1859 au sud de Londres.        
Conçue à l’attention de Morris et de Jane, sa nouvelle épouse, la Red House était construite en simple brique rouge et évitait tout excès d’ornement. Sa conception modeste, comprenant le grand escalier en chêne, l’entrée carrelée de dalles rouges et les grandes cheminées en brique, a permis de tracer une nouvelle direction pour l’architecture domestique britannique, loin de la domination des styles historiques. La Red House fut aussi pour Morris et ses amis pré-raphaëlites l’occasion de dessiner des meubles sur mesure, simples et à leur goût. Cette expérience les mènera à la création deux ans plus tard de la Morris, Marshall, Faulkner and Co., aussi connue sous le nom de la Firme [The Firm].

Avant de collaborer avec Morris, Rossetti et ses amis avaient évoqué l’idée de créer une entreprise qui produirait des objets décoratifs à la manière de ce qu’ils imaginaient être celle du moyen-âge. C’était une idée romantique, car ils n’étaient probablement pas au courant des règlementations strictes et parfois étroites qui régulaient de travail des guildes. Plutôt que de fonder leur propre entreprise, Rossetti et Ford Maddox Brown rejoignirent celle de Morris au moment de sa création. La Morris, Marshall, Faulkner and Co. comptait parmi ses membres, en plus de ses fondateurs, Edward Burne-Jones et Philip Webb. Dans ses brochures publicitaires, la société rappelait que la Grande-Bretagne n’avait connu que peu de succès dans le domaine des arts décoratifs et ses membres vantaient les nombreuses compétences qui leur permettraient de “se charger de n’importe quelle pièce de décoration, murale ou autre, depuis les images en tant que telles jusqu’à l’étude du moindre travail susceptible de beauté artistique.”
La plupart des travaux des premières années de la société répondaient à des commandes privées de vitraux, de meubles ou d’intérieurs. Au départ, les vitraux qui étaient l’activité qui avait le plus de succès, étaient conçus collectivement. Webb réalisait le cadre et dessinait les animaux, les lettrages et les détails héraldiques. Morris choisissait les couleurs, calibrait le chemin de plomb et validait le verre pour la conception finale. Un style distinctif émergea alors, caractérisé par l’intensité des couleurs, la finesse des décors et des personnages et l’attention aux détails historiques. La connaissance de la culture médiévale qui avait imprégné la peinture pré-raphaëlite était maintenant appliquée à une des formes principales de l’art décoratif. Parmi ceux qui travaillèrent dès le début sur les commandes de vitraux figurait William de Morgan (1839-1917), qui deviendra plus tard un important fabricant de carrelage. De Morgan était très intéressé par les techniques traditionnelles et reproduisait des carreaux aux décors persans quasi identiques aux originaux.
Bien que la société soit essentiellement masculine, quelques femmes, toutes liées aux designers ou collaborateurs de la Firme, se spécialisèrent dans la peinture sur carrelage — Giorgiana Burne-Jones (1840-1920), la femme d’Edward, Lucy (1839-1910) et Kate Faulkner (1841-1898), les sœurs de Charles Faulkner (1833-1892), l’un des associés de Morris. Lucy Faulkner était spécialisée dans les carreaux décorés que l’on utilisait pour créer des scènes narratives dans les intérieurs domestiques ou ecclésiastiques, alors que Kate Faulkner avait conçu de nombreux carrelages à motifs qui pouvaient être assemblés pour former des décors dans une pièce ou sur des meubles. L’un de ces motifs, le Peony, avec ses tiges courbes et mobiles et ses fleurs à peine peintes, n’est pas aussi aérien que les motifs inspirés du Japon mais beaucoup plus légers que les motifs répétitifs très denses de Morris.

Kate Faulkner, Peony, carreau peint à la main, 1880.

Le rôle de Morris s’était intensifié au sein de la société et en 1865, il quitta la Red House et acquis des locaux à Londres où il vécut avec sa femme et hébergea l’entreprise. En 1867, la société reçu l’une de ses commandes les plus importantes, la décoration de la Green Dining Room du South Kensington Museum. Il n’est pas complètement avéré qu’Henry Cole fut celui qui valida cette commande, mais l’engagement de la société auprès du musée signale de toute façon une large reconnaissance publique des talents créatifs de ses membres. En plus du déménagement à Londres, Morris engagea Warrington Taylor (dates incertaines) en tant que manager de la Firme, ce qui améliora considérablement ses pratiques commerciales, tant en terme de tarification que de management.
La Green Dining Room, connue plus tard sous le nom de William Morris Room, et son mélange de meubles, de vitraux et de décorations murales donnèrent aux membres de la Firme l’occasion de déployer tout l’éventail de leurs talents. Morris et Webb choisirent le bleu et le vert des boiseries et des plâtres. Webb réalisa un motif pour le mur et une frise de corniche colorée représentant un chien chassant un lièvre. À hauteur d’yeux, une série de panneaux sur lesquels sont peints des arbres et des branches à fruits entourent la pièce, alternent avec d’autres panneaux de Burne-Jones représentant les mois ainsi que les signes du zodiaque. Il faut rajouter à cela les vitraux des fenêtres, dessinés par Burne-Jones, qui montrent des personnages entourés d’animaux et de fleurs.

En 1875, Morris devînt le seul propriétaire de la société qui fut rebaptisée Morris & Co. Bien qu’elle continuât à produire des pièces uniques pour les vitraux et les intérieurs, la Firme commençait à augmenter sa production en série. Morris avait une habileté particulière dans la création de motifs et il en créa plus de soixante-dix pour des papiers-peints, des tissus de coton — aussi connus sous le nom de chintze — et des étoffes tissées. Plus sa capacité à dessiner des motifs s’améliorait, plus ses motifs étaient riches et denses. L’un de ses premiers motifs pour papier-peint, Trellis, montre les branches d’une plante en fleur entrelacées dans un treillis en bois dressé contre un arrière-plan bleu. Webb a collaboré au projet en dessinant plusieurs oiseaux intégrés au décor. À l’inverse, les motifs plus tardifs de Morris, comme Acanthus (1875), arborent de luxuriants tourbillons de feuilles qui ne laisse aucun espace à une forme dominante.

Treillis
Acanthus

Pour ses papiers-peints, il sous-traitait la découpe sur bois de son dessin à Jeffrey and Co., une entreprise florissante qui produisait de nombreux motifs des créateurs des Arts & Crafts et autres créateurs issus de mouvements artistiques liés à ce dernier, puis imprimait les papiers-peints. À la différence d’autres créateurs des années 1870, davantage influencés par l’esthétique et la composition des images japonaises, la sensibilité de Morris restait proche du style Victorien, privilégiant une égale abondance des formes entre elles, sans qu’aucune ne prenne le dessus. Bien que ce soit la classe moyenne supérieure esthétiquement progressiste qui achetât ses papiers-peints, la lourdeur de leur densité picturale les relie davantage à l’ère victorienne qu’à une sensibilité moderne émergente caractérisée par un plus grand sens de la simplicité.
Une fois la société de production de papiers-peints installée sur des bases solides, Morris s’intéressa au design de textiles, parfois en collaborant étroitement avec Thomas Wardle (1831-1909), un imprimeur textiles du Staffordshire. Son travail avec Wardle lui permis d’améliorer ses connaissances des colorants et il lança sa propre entreprise de colorants à Londres en 1876. Inspiré par les riches coloris des textiles historiques conservés au South Kensington Museum, Morris apprit à utiliser des colorants naturels en combinant d’anciennes recettes avec des technologies modernes. Pendant plusieurs années, la coloration occupa la majeure partie de son temps, jusqu’à ce qu’il soit capable de l’enseigner à ses assistants comme il l’avait déjà fait pour d’autres savoir-faire.
Morris commença également à installer des métiers à tisser pour fabriquer des tapis et des tapisseries en laine et soie. En 1881, la Firme emménagea à Merton Abbey, une ancienne usine d’impression sur textile dans le Surrey, près de la rivière Wandle, où il commença à imprimer ses propres chintz. L’un de ses motifs les plus chatoyant est le Evenlode, avec ses tourbillons floraux et ses feuillages sinueux, dessiné en 1883.

Motif Evenlode
[source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Morris_Evenlode_printed_textile.jpg]

À Merton Abbey, Morris s’intéressa aussi au tissage, technique qu’il n’avait pas essayé d’apprendre avant d’en maîtriser de plus simples. Une fois qu’il eût appris à tisser, il transmit ce savoir à ses employés et installa des métiers à tisser sur lesquels ils purent fabriquer des tapisseries, des tapis et des damassés. À l’inverse d’autres produits de la société qui étaient produits en série, les produits issus de l’atelier de tissage étaient tous fabriqués à la main.
Bien que les prix des tissages étaient plus élevés que ceux fabriqués à la machine, Morris croyait fermement en l’investissement personnel du tisserand et a pu produire des étoffes tissées à la main à des prix compétitifs, même s’ils restaient inaccessibles aux plus pauvres. Les tapisseries, en particulier, lui permirent de raviver son intérêt pour la peinture et ont offert à Burne-Jones un formidable espace pour exercer ses talents de dessinateur. Ce dernier dessina une série de six tapisseries qui reproduisaient des scènes tirées de la légende du Roi Arthur et de la Quête du Saint Graal. Cette série avait été commandée par un riche mécène, William D’Arcy, pour la salle-à-manger de sa maison de campagne. Morris, qui était responsable des héraldiques, et John Henry Dearle (1860-1932), qui dessina les motifs floraux du premier plan et les arrières plans, se joignirent leurs efforts à ceux de Burne-Jones. La série fut achevée sur une période de cinq ans au début des années 1890. Dans l’une des premières pièces, “Les Chevaliers de la Table Ronde enjoins à la Quête par l’Étrange Damsel”, Burne-Jones illustra son extrême attention aux détails historiques et tout ce qu’il devait à l’art de la composition des premiers peintres italiens dont s’inspirait sa propre technique.

The Knights of the Round Table Summoned to the Quest by the Strange Damsel
The Arming and the Departure of the Knights
The Failure of Sir Lancelot to enter to the Chapel of the Holy Grail
The Failure of Sir Gawaine: Sir Gawaine and Sir Uwaine at the Ruined Chapel
The Attainment : The Vision of the Holy Grail to Sir Galahad, Sir Bors and Sir Perceval
The Ship

La Firme possédait aussi un atelier de broderie qui produisait à flot housses de coussin, couvre-lits et autres objets pour la vente au détail et sur commande. Il était dirigé par May (1862-1938), la fille de Morris, qui était aussi experte en la matière. Les femmes ne jouent la plupart du temps qu’un rôle subalterne dans le mouvement des Arts & Crafts, mais May formait, avec quelques autres, dont Georgiana Burne-Jones et les sœurs Faulkner, un groupe d’élite actif dans la société, bien que leurs engagements demeurent circonscrits dans des domaines considérés comme féminins par la culture de leur temps.
Le mobilier constituait, depuis les débuts de la société, une part importante de la production. À la différence des papiers-peints de Morris ou de ses premiers textiles, la fabrication des meubles n’était jamais sous-traitée et les pièces étaient généralement réalisées sur demande à partir de modèles et de plans. Morris distinguait deux catégories de meubles : les meubles nécessaires au travail quotidien (“necessary work-a-day furniture”), aux formes relativement simples, et les meubles officiels (“state-furniture”), plus élaborés et qui nécessitaient une maîtrise, beaucoup plus dispendieuse en temps, de l’art de la sculpture, de la marqueterie et de la peinture. La plupart des meubles étaient dessinés par Philip Webb et plus tard par George Jack (1855-1932).
Bien que la Firme fabriquât du mobilier tapissier comme le fauteuil au dossier réglable, parfois connu sous le nom de fauteuil Morris, que Philip Webb dessina vers 1866, sa gamme la plus économique était constituée de meubles très simples de style rustique déclinés sous de nombreuses formes.

la Firme a développé un grand nombre de variations d’un premier modèle de chaise en bois paillée que Dante Gabriel Rosetti (1828-1882) déclare avoir conçues. Connues sous le nom de Sussex Chair, la gamme s’étend de la chaise droite sans accoudoirs ou d’un fauteuil plus large avec accoudoirs à un siège pouvant accueillir trois personnes. En plus de la chaise de Rossetti, la collection comprenait des sièges à l’assise en paille arrondie, probablement dessinée par l’artiste pré-raphaëlite Ford Maddox Brown (1821-1893). Les chaises Sussex tireraient leur nom de l’idée qu’elles auraient été copiées sur une chaise trouvée dans un village du Sussex, mais leur design est en réalité basé sur un modèle de style Régence, même si leur assise en paille leur confère en effet un aspect rustique.

Sussex Rush-Seated Chairs. Page du catalogue Morris and Co. La chaise de Rossetti est en haut à gauche, les Sussex chairs sont les trois suivantes dans la ligne du haut, la chaise avec l’assise ronde en bas à gauche a peut-être été dessinée par Ford Maddox Brown.
[source : https://victorianweb.org/art/design/furniture/25.html]

Contrairement aux autres meubles produits par la Firme, la simplicité de cette chaise rendit sa production en petite série possible, bien que le cannage demandât un travail supplémentaire. Les différentes versions étaient obtenues grâce au partage d’éléments communs tels que les barreaux, les traverses et les pieds. On peut comparer dans une certaine mesure les chaises Sussex aux chaises Thonet produites à Vienne, bien que la société de Morris ne les produisit pas dans des quantités suffisantes pour tirer parti de la méthode de production en grande série à bas coût mise au point par Thonet. Ces chaises étaient sans doute les moins chères de tout le catalogue de meubles de la Firme mais Morris n’était pas encore en mesure de les rendre financièrement accessibles à la classe ouvrière. On ne peut l’en blâmer, même s’il proclame dans ses écrits et ses conférences que les beaux objets doivent être accessibles à tout le monde. Morris était un idéaliste mais il était aussi un brillant homme d’affaire qui a maintenu son entreprise à flot tout au long de son existence.
Il y réussit en combinant de solides pratiques commerciales à diverses méthodes de fabrication et de stratégies marketing adaptées à ses différents types de produits. La Firme vendait de petits objets comme du carrelage ou des broderies et des objets plus gros comme les chaises, qu’elle produisait de manière relativement efficace. Pour les autres produits comme les papiers-peints, Morris s’occupait du design, achetait les panneaux sculptés et s’arrangeait avec Jeffrey and Co. qui les produisait pour le marché. Les vitraux étaient toujours conçus pour des sites spécifiques, et la Firme, comme ses bureaux d’architectures annexes, répondait à des commandes spéciales pour concevoir des espaces domestiques et ecclésiastiques pour lesquels elles produisait entre autres objets, des vitraux, des meubles et du carrelage. La diversité des commandes et de la gamme de production lui permit de résister totalement à la machine pour la fabrication de certains produits comme les tapis et les tissus, qui étaient entièrement fabriqués à la main.
Morris a réussi, dans l’organisation de son entreprise, à annuler la hiérarchie entre les beaux-arts et les arts décoratifs qu’il avait critiquée dans sa première conférence, Les Arts mineurs [The Lesser Arts], prononcée en 1877. Dans cette conférence, il critiquait également sévèrement les méthodes liées à la fabrication mécanique que l’on enseignait alors aux étudiants dans les écoles de design d’Henry Cole. Ce qu’il dénonçait était l’inculcation de règles qui, selon lui, ne pouvaient se substituer à l’observation et à l’expérience.
Bien que Morris ne trouvât pas de solution pour fabriquer des biens de bonne qualité peu chers et accessibles à tout le monde, il n’en critiqua pas moins durement les manufacturiers qui fournissaient au public les “mauvais produits à bas prix qu’il demande”. À la place, il en appelait à des “produits dont nous pouvons être fiers tant pour leur juste prix que pour la qualité du travail mis en œuvre pour les fabriquer.”
Dans certains de ses écrits, Morris expose une vision utopique de l’artisan qui pourrait contrôler l’intégralité du processus de fabrication, mais il savait bien qu’en pratique les arts décoratifs relèvent d’un processus collaboratif. Bien qu’il critiquât, dans ses conférences les plus polémiques, l’aliénation de l’homme à la machine dans le système capitaliste de la division du travail, il n’était pas opposé à la machine en tant que telle. Il pensait plutôt que les hommes devaient au contraire contrôler les machines et les utiliser dans les processus de fabrication pour lesquels elles étaient faites.
Morris plaidait en faveur de la satisfaction au travail, de produits de bonne qualité, et de la création de la beauté dans un grand nombre de conférences, depuis la fin des années 1870, mais il était aussi plus directement impliqué dans la vie politique et devînt l’un des chefs de file du socialisme britannique. En plus de s’opposer aux villes anglaises surpeuplées, aux conditions de travail difficiles et de défendre avec véhémence la préservation du patrimoine architectural, il épousa avec ardeur un grand nombre de causes politiques comme l’opposition à la répression turque de 1875 en Bosnie, au Montenegro et en Serbie.
Comme activiste politique, Morris était à la fois pragmatique et idéaliste. Il s’engageait corps et âme pour des causes politiques difficiles comme les débats et l’organisation liés à la construction du parti socialiste. Dans ses écrits, dont beaucoup sont diffusés par des publications socialistes comme The Commonweal, il expose souvent sa vision utopique d’un monde en paix dans lequel chacun pourrait vivre dans un environnement perpétuellement beau et exercerait un travail satisfaisant. Cette vision est retranscrite en détail dans son roman utopique News from Nowhere, publié en 1893.
Par ces multiples activités, Morris a fini par représenter un nouveau genre de créateur, un créateur autant engagé dans les questions sociales de son temps que dans la création d’objets. En plus de vraiment diriger son entreprise, il a aussi ouvert la voie à d’autres façons de concevoir, d’où son immense influence sur la manière dont d’autres créateurs, en particulier en Europe continentale, ont réfléchi à leur pratique, bien qu’ils ne se soient pas engagés socialement comme il l’a fait. Le travail de la Firme, ses diverses commandes et ses modes variés de production, constituent sans aucun doute un précédent pour d’autres studios et ateliers comme les Ateliers de Vienne fondés par Josef Hoffmann et Kolo Moser et l’Union des Ateliers pour l’Art et l’Artisanat fondée par Richard Riemerschmid et quelques autres à Munich.»

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