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Herbert Bayer, pour un nouvel alphabet. “la typographie universelle“ , 1925

Titre original Towards a new alphabet the universal type. Extrait de Herbert Bayer, Herbert Bayer, Reinhold publishing corporation, New York, 1967.
Le texte en français respecte l'usage de l'alphabet du texte original (minuscules uniquement, débuts de phrases signalés par un espace plus grand).


nous avons une longue histoire de la typographie derrière nous.  beaucoup de magnifiques alphabets ont été crées dans le passé et il n’est nullement notre intention de censurer leur héritage qui porte toute l’autorité de l’antiquité.  mais nous avons atteint le point où nous devons nous détourner de la tradition pour prendre conscience des exigences croissantes du présent et partir à la recherche de nouvelles formes. 
de la masse compacte des caractères typographiques les plus utilisés, il émerge aujourd’hui, variation récente du ‘roman‘ classique, un caractère que l’on appelle généralement “sans serif“.  il est également appelé “gothic“ dans les pays anglophones, “grotesk“ en allemand. on peut dire que l’expression simplifiée de sa forme correspond aux autres manifestations visuelles de l’homme-machine. 
les nouveaux typographes des années 20 utilisaient presque exclusivement cet alphabet. 
 lorsque l’on dessine un nouveau caractère typographique, on ne peut pas inventer des formes entièrement nouvelles car les symboles alphabétiques ont un sens. on doit rester proche du dessin de base.  les différents styles de lettres que l’on utilise aujourd’hui tirent leur forme de modifications issues d’un dessin libre.  créées à l’aide de pinceaux ou de stylos, la plupart d’entre elles ressemblent à des formes calligraphiques ou à des lettres peintes ou dessinées à la main.  la raison pour laquelle on produit toujours plus de caractères typographiques tient en grande partie à la pratique constante des fonderies de caractère d’augmenter leurs ventes grâce à de nouveaux designs.  les fondements et l’étude des fonctions visuelles motivent rarement les améliorations. 
l’exigence de l’œil humain et le volume de lecture augmente constamment.  il va de soit que les oculistes utilisent des caractères typographiques nettement découpés lorsqu’ils testent l’acuité visuelle de leurs patients.  mais les spécialistes de l’œil n’ont aucune démonstration définitive de la lisibilité, parce que leurs examens sont influencés par les habitudes de lecture et par l’existence de types de caractères auxquels l’homme est habitué depuis longtemps.  on sait bien, par exemple, que les personnes âgées, qui voient mal, lisent souvent plus facilement le caractère allemand compliqué “fraktur“ qu’une typographie moderne, parce qu’elles y sont habituées. 
dans le passé les lettres capitales (les seules alors en usage) étaient dessinées au crayon ardoise ou étaient incisées avec un ciseau.  leur forme étaient intimement liée à ces outils.  les lettres minuscules se sont développées au début du moyen âge avec l’usage de la plume et ont par conséquent hérité des caractéristiques de l’écriture manuscrite.  plus tard, les deux alphabets commenceront à être utilisés simultanément côte à côte bien qu’ils soient assez dissemblable et d’aspect incompatible. 
en dessinant la “typographie universelle“ je me demandais à moi-même : ce simulacre d’alphabet manuscrit est-il toujours justifié dans une époque où tout ce qui est “écrit“ l’est soit par des machines à écrire soit par des presses mécaniques ?  dans une époque où l’écriture manuscrite ne joue qu’un tout petit rôle ? 
j’en ai conclu que certains des besoins et des caractéristiques d’une nouvelle typographie pour l’impression mécanique devraient être : 
a) la simplification au profit de la lisibilité (plus simple est l’apparence visuelle, plus facile est la compréhension) ; 
b) des proportions nettes pour chaque lettre, formées à l’aide d’éléments géométriques afin de produire un alphabet harmonieux ;
c) l’abandon du serif, supérieur et inférieur, du geste du tracé, et des caractères manuscrits ;
d) le développement de caractères adaptés aux machines à écrire et à l’écriture manuscrite à partir du dessin de base de la « typographie universelle » conçue pour l’impression mécanique.
  mais pourquoi écrivons-nous et imprimons-nous simultanément avec deux alphabets ? Pourquoi parler d’un grand “A“ et d’un petit “a“ ? pour transmettre un son, nous n’avons pas besoin de grandes et de petites lettres.
un son, une lettre.
un seul alphabet est plus simple à apprendre, à lire et à écrire. on écrit plus rapidement sur une machine où la touche majuscule est moins nécessaire.  même les personnes qui n’ont pas l’habitude d’écrire avec un seul alphabet gagneraient au moins 1/3 du temps qu’ils mettent normalement.  les machines à écrire actuelles pourraient être plus faciles à utiliser et les nouvelles seraient plus simples, plus petites, ou pourraient proposer la possibilité de rajouter des touches.  la mise en page serait moins chère, la casse plus petite ; les imprimeries économiseraient de la place. 
écrire avec deux alphabets semble particulièrement inapproprié quand les lettres capitales ne sont que très peu utilisées.  Il semble incompréhensible de conserver un tel appareillage pour un usage si limité. 
imprimer avec un seul alphabet donne lieu à une typographie plus harmonieuse que mélanger les différents styles de deux alphabets.  si une marque typographique est souhaitée au début des phrases par exemple, un caractère en gras ou un espace plus grand peuvent être utilisés. 
LES LETTRES CAPITALES DU PASSÉ, BIEN QUE D’UNE FORME PLUS HARMONIEUSE, SONT DIFFICILES À LIRE DANS UN LONG TEXTE
c’est pour tout cela que les lettres minuscules sont la base d’une “typographie universelle“ et que les lettres capitales ont été exclues. 
h.b. 1925

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