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Augustus Welby Northmore Pugin (1812-1852).

La figure et le rôle de ce personnage mérite d’être développée un peu plus pour bien comprendre ce que signifie vraiment cet élan vers le gothique et le rôle important qu’il jour dans l’histoire du design.

Nous lirons ou relirons d’abord la partie que Victor Margolin consacre à Pugin dans le chapitre de World History of Design intitulé « The Age of exhibitions: Great Britain 1830-1900 » [texte intégral, traduit]

A.W.N. Pugin et le Gothic Revival.

« Au contraire des fabricants qui reprenaient des styles anciens dans un seul but décoratif, l’architecte Augustus Welby Northmore Pugin (1812-1852) soutenait le renouveau du style gothique parce qu’il pensait que des formes architecturales dérivées des formes aériennes des cathédrales gothiques auraient la même dimension spirituelle qu’autrefois. Pour Pugin, le gothique n’était pas seulement un style pittoresque tel qu’il l’avait été auparavant pour Horace Walpole, dont la propriété, Strawberry Hill, est chargée de pastiche gothique.

Strawberry Hill fut construite entre 1749 et 1776 par William Robinson et James Essex. Vue de la façade sud-est.

Pugin plaidait plutôt en faveur de l’importance de la structure du bâtiment et de l’idée que l’ornement puisse venir enrichir cette structure plutôt que de ne remplir qu’une fonction décorative. En 1835, Pugin se convertit au Catholicisme et, tout au long de sa carrière, il voulu créer des églises qui exprimeraient le sentiment de la foi médiévale, ainsi que des objets décoratifs et des meubles qui obéissaient aux mêmes intentions. Pugin s’intéressait beaucoup au sens de la liturgie catholique et conçu beaucoup d’objets liturgiques liés au service de la messe – vêtements, vitraux, chandeliers ou calices par exemple. En 1836, Pugin publia Contrasts, un livre d’eaux-fortes qui comparait les vertus de la ville médiévale à la ville industrielle moderne. Dans une série d’images, il oppose la pauvreté des chapelles, des entrées, des autels, des monuments, et même des fontaines publiques contemporaines à la richesse de leurs précédents médiévaux.

Dans The True Principles of Pointed or Christian Architecture, qu’il publie en 1841, il exprime clairement l’idée que les formes médiévales sont une source à l’architecture contemporaine et aux arts décoratifs. Parmi les principes que Pugin soutient dans son livre, plusieurs sont repris par d’autres critiques du design victorien comme John Ruskin, Charles Eastlake et William Morris. En substance, Pugin défend la vérité dans l’utilisation des matériaux et l’honnêteté des relations entre les détails architecturaux et les structures qui les portent. Sa conviction que l’apparence externe et interne d’un bâtiment doit s’accorder à sa fonction fut appliquée par des architectes profanes aussi bien que par ceux qui construisaient les églises. En fait, Pugin n’a pas explicitement plaidé en faveur du retour de l’architecture gothique dans True Principles mais pensait que c’était par les formes des bâtiments et autres objets du gothiques que s’exprimait l’intégrité du design. En plus de ses bâtiments, Pugin n’a pas conçu que des objets liturgiques, mais aussi de nombreux petits éléments comme des serrures, des gonds et des clous que l’on retrouvait dans ses constructions. Il était associé avec John Hardman dont l’usine de métal produisait et vendait au grand public des pièces artistiques, ainsi qu’avec J.G. Crace, dont la société de création de papier peints, de tissus et de meubles réalisait également ses projets de design d’intérieur. On trouvait aussi, parmi les objets décoratifs que Pugin et ses équipes produisaient, des verres, des peintures murales, du carrelage, de la reliure et de la broderie. Bien que Pugin tire son approche structurelle et décorative de sources médiévales, il s’intéressait, comme Henry Cole, aux propositions nouvelles pour l’amélioration de la qualité du design, afin de contrer les pastiches historiques produits par la plupart des manufacturiers du 19èsiècle. Les Chambres du Parlement [palais de westminster], conçues par sir Charles Barry en néo-gothique avec la collaboration de Pugin, témoignent très bien de la manière dont Pugin appliquait ses théories à la construction intérieure et extérieure d’un bâtiment. La construction commença en 1837 mais le bâtiment ne fut pas achevé avant 1860, bien après le décès de Pugin. Il est très probable qu’il soit à l’origine des ornements gothiques de la façade et qu’il ait été chargé de réaliser l’intérieur de la Chambre des Lords et de sa richesse de détails allant de l’ornementation du trône jusqu’aux vitraux des fenêtres. L’unité de l’intérieur, qui impliqua de nombreux artisans, montre l’attention que Pugin portait aux détails et démontre sa capacité à traduire les principes gothiques du design dans la création d’objets contemporains tels que des horloges ou des porte-parapluies. Grâce à sa compréhension profonde et précise des formes gothiques, Pugin accomplit une prouesse similaire à celle de Robert Adam qui, avant lui, avait conçu des ensembles intérieurs en s’appuyant sur sa connaissance de l’architecture classique. Pour ses contemporains et ceux qui vinrent après lui, son attachement à la pleine relation entre l’ornement et la structure, son attention aux plus infimes détails, sa défense de l’honnêteté sous tous ses aspects sont plus importants que son intérêt pour le néo-gothique. »

Victor Margolin, World History of Design, p. 209-211

Pugin est le personnage qui ouvre Les sources de l’architecture moderne et du design. Nikolaus Pevsner le cite comme premier défenseur du fonctionnalisme, qu’il érige en principe premier de l’architecture et du design “de masse”, précise-t-il.

« L’architecture et le design de masse doivent être fonctionnels ; en ce sens, il est capital qu’ils aient un caractère pratique et séduisant pour tous. Une chaise peut-être inconfortable tout en étant une œuvre d’art, mais seul le connaisseur préfèrera ses qualités esthétiques à son utilité. La défense du fonctionnalisme est la première de nos sources. Augustus Welby Northmore Pugin, Anglais né en 1812 d’un père français, commençait ainsi son livre majeur : “Aucun édifice ne devrait posséder de caractéristiques qui ne soient nécessaires à la commodité, à la construction ou à la convenance… Le plus petit détail devrait… servir une fin et la construction même devrait varier selon le matériau utilisé”*. Ces lignes, écrites en 1841, n’avaient rien de novateur : elles découlaient du rationalisme français des XVIIè et XVIIIè siècles.
(…)
Pugin (…) n’a pas réellement défendu le fonctionnalisme mais le néo-gothique, comme expression d’une renaissance catholique (même s’il évoque de manière fort intelligente l’aspect fonctionnel du style gothique, des contreforts, des voûtes à nervures, etc.) »

Pugin a beaucoup influencé les auteurs du Journal of Design and Manufactures (Henry Cole, Owen Jones, Matthew Digby Wyatt, Richard Redgrave).
« Pugin avait critiqué les tapis sur lesquels on marche “sur de hauts feuillages en relief”* ; le Journal insistait pour que les tapis conservent “une surface plane”, pour que les papiers-peints aient l’air “normalement plats”* et, que d’une manière plus générale, pour que “le premier souci du décorateur soit la conformité parfaire à l’usage voulu”* ; chaque objet “pour donner un plaisir parfait (devait) être adapté à sa fonction et authentique dans sa structure”.*

* The True Principle of Pointed or Christian Architecture, 1841, p.1.
* The True Principle , p. 26.
* Journal of Design and Manufactures, IV, 1850, p. 175 et I, 1849, p. 80.
* Richard Redgrave, Supplementary Report on Design, 1852, p; 720
* Owen Jones, The True and the False in the Decorative Arts, 1863 (conférences faites en 1852), p. 14.

Pour Michel Ragon, Pugin est le “grand-père” dans ce qu’il décrit comme une filiation Pugin / Ruskin / Morris.

« En Augustus Welby Northmore Pugin (1812-1852) s’identifient le gothique et le christinanisme, ou plus précisément le catholicisme puisque Pugin se convertit à cette religion en 1833. Architecte de la Cathédrale de Killarney, chargé de l’ornementation gothique du Parlement de Londres construit par l’antiquisant Charles Barry (1795-1860) de 1837 à 1843,

Palais de Westminster vu du London Eye. Photo : David Castor.

Pugin publia en 1836 un livre qui fit sensation : Contrasts. Dans cet album de gravures, Pugin comparait des édifices médiévaux et contemporains, par exemple “une ville catholique en 1440 et la même en 1840” où l’on voyait les églises remplacées par une usine à gaz, une prison, un asile d’aliénés. (…) Dans Apology for the Present Revival of Christian Architecture in England (1843), Pugin s’élevait contre l’idée de supériorité affichée par le XIXè siècle, démontrant aisément la supériorité architecturale des édifices médiévaux sur ceux de son temps.
“Dans certains domaines, écrivait-il, je suis prêt à admettre que de grandes et importantes inventions ont été portées à la perfection, mais il faut rappeler leur nature purement mécanique et je n’hésite pas à dire que, dans la mesure où de semblables œuvres ont progressé les œuvres d’art et les pures productions de l’esprit ont décliné, dans une proportion beaucoup plus grande.”
Pugin rappelait “l’unité d’inspiration qui animait bâtisseurs et décorateurs” et donnait, peut-être le premier, cette définition du fonctionnalisme : “Le grand critère de la beauté architecturale est l’adaptation de la forme à la fonction.”
Pugin ne tombait pas dans le piège du passéisme stupide, écrivant bien au contraire : “Il n’y a aucune raison pour que de nobles villes, offrant tous les perfectionnements possibles en matière d’égouts, adduction d’eau, conduites de gaz, ne puissent être édifiées dans un style à la fois parfaitement cohérent et chrétien.”
[…]
(…) Pugin est à l’origine, à la fois de la théorie du néogothique et de la résistance culturelle à la tyrannie des machines, idées développées ensuite avec une grande ampleur par John Ruskin et William Morris. »

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