Ce cours s’appuie largement sur l’ouvrage : Jehanne Dautrey, Emanuele Quinz (dir.), Strange Design. Du design des objets au design des comportements, it: éditions, 2014.
Il est présenté sous forme de notes.
Il est parfois annoté (en gris).
Pour mémoire, il a été publié sur ce site dans le cadre de la “continuité pédagogique” pendant la période de confinement liée à l’épidémie de Covid-19 au printemps 2020.
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Le terme « design critique » a été utilisé pour la première fois par Anthony Dunne dans son livre Hertzian Tales, (1999). Depuis, le terme a beaucoup été repris et connaît des variantes.
On parle aussi de « design fiction » ou de «design spéculatif ». Je ne pense pas que ces trois désignations recouvrent des pratiques différentes (en tout cas, cela ne m’est pas encore apparu dans les écrits parcourus) mais chacune d’entre elle pointe une entrée possible dans l’univers du design critique (le design critique critique, souvent à l’aide de fictions, qui se situent dans un monde qui n’existe pas encore).
Définition
Anthony Dunne et Fiona Raby, Critical Design FAQ
Qu’est ce que le design critique ?
Le design critique utilise des propositions de design spéculatif, réflexif, pour défier les affirmations rapides, les préjugés et lieux communs sur le rôle des produits dans la vie de tous les jours »
À quoi sert le design critique ?
« Principalement à nous faire réfléchir. Mais aussi à faire émerger les consciences, exposer des hypothèses, provoquer des actions, susciter le débat, et aussi à divertir, dans une dimension intellectuelle, comme la littérature ou le cinéma. »
Design critique : non soumis aux impératifs du pouvoir.
Design conceptuel
J’avoue que je ne sais plus exactement à quel discours renvoyait ce passage. Je traduis aujourd’hui par : le design critique appartient au champ du design conceptuel car il n’est pas soumis aux impératifs du pouvoir.
Cela me laisse songeuse aujourd’hui. C’est précisément ce genre d’affirmation qui doit stopper net toute forme de fascination.
Je vais renvoyer pour commencer à un passage du chapitre de Speculative Everything traduit par Monjou :
« Dans la mesure où l’on accepte que le design conceptuel est plus qu’une simple option stylistique, une propagande d’entreprise ou l’auto-promotion du designer, il faut se demander quels usages il peut prendre en charge. Or pour le design, il existe de nombreuses possibilités de s’engager socialement et d’accroître son implication: la satire et la critique; l’invention, la réflexion, le divertissement éclairé, les explorations esthétiques, la spéculation à propos des futurs possibles, autant de biais qui font du design un catalyseur du changement.
Selon nous, l’un des usages les plus intéressants du design conceptuel est qu’il se présente comme un genre de critique. Sans doute à cause de notre propre expérience dans le champ du design, nous pressentons que l’espace privilégié qu’occupe le design conceptuel fait qu’il devrait pouvoir servir à quelque chose. Qu’il se contente d’exister ou qu’il ne puisse servir qu’à expérimenter ou divertir est insuffisant. Il faut aussi qu’il soit utile, qu’il ait une sorte d’utilité sociale, notamment pour critiquer, questionner et contester la manière dont les technologies entrent dans nos vies et les limites qu’elles imposent à travers une définition étroite de ce que signifie être humain. Ce qu’Andrew Feenberg montre bien lorsqu’il écrit que «la première question à adresser aux sociétés modernes consiste à savoir quelle conception de la vie humaine impliquent les dispositifs techniques dominants »
On voit bien ici comment les auteurs perçoivent très bien les limites de leur pratique, mais mal, comment la référence à un design conceptuel les affranchiraient de l’emprise du pouvoir (même si c’est celui de l’emprise du pouvoir d’un certain type de marché, de consommation et de communication qui nous est suggéré en début de texte). D’une part, il existe tellement d’autres formes de pouvoir ; d’autre part, il est possible d’exercer une pensée critique en dehors du design conceptuel.
Méthode : détournement systématique des objets, de leurs formes habituelles, de leurs fonctions utilitaires => production d’objets étranges, ambigus, opaques dont l’usage détourné ouvre sur une controverse plus profonde : celle des valeurs sociales et politiques véhiculées par les objets habituels.
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D’un point de vue historique, ce mouvement se situe dans la lignée du design radical italien et du design hollandais des années 90.
Filiation avec le design radical italien (chantier d’expérimentation inégalé qui pose pour la première fois frontalement la problématique d’une approche critique du design).
Rejet des valeurs en vigueur au début des années 60 (efficacité, flexibilité, modularité, sériabilité) – valeurs issues du modernisme design qui se tourne vers l’étrangeté, l’ambiguite, l’utopie
(rappel) Design critique : non soumis aux impératifs du pouvoir la fonction incarne un maillon fondamental du processus d’aliénation induit par la consommation. Elle doit être pour cela remise en question.
Ici, se trouvait une précision concernant le rapport au pouvoir abordé juste avant :
Selon le design radical, la fonction incarne un maillon fondamental du processus d’aliénation induit par la consommation. Elle doit pour cela être remise en question.
Mais nous voyons que ce n’est pas précisément le positionnement revendiqué par le design critique (« Sans doute à cause de notre propre expérience dans le champ du design, nous pressentons que l’espace privilégié qu’occupe le design conceptuel fait qu’il devrait pouvoir servir à quelque chose. Qu’il se contente d’exister ou qu’il ne puisse servir qu’à expérimenter ou divertir est insuffisant. Il faut aussi qu’il soit utile, qu’il ait une sorte d’utilité sociale (…) »).
Stratégie systématique de dissimulation des fonctions premières derrière un récit (« re-semantisation ») qui vise à contrebalancer les effet de la société de consommation (réintroduire l’altérité face à l’aliénation, la différence face à la standardisation).
Objet de « nature artistique » mais mode de production qui relève du design.
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Filiation avec le design hollandais des années 90
Droog Design : éditeur / fondation / société (pas un collectif). 1993 / parcours off du salon international du meuble de milan
Fondateurs : Renny ramakers (historienne de l’art et éditrice de revue) ; Gijs Makker (designer et professeur à la design academy de eindhoven).
Rassemblent 14 objets de jeunes designers de la Design Academy de Eindhoven.
Essayer de remuer l’univers un peu sage, austère, conceptuel du design hollandais “droog” = “sec” (ref. à l’humour un peu aride des propositions)
Critères : fraîcheur, humour, ironie, approche très directe et minimaliste
Thèmes : récupération / low tech / emploi systématique de technologies de pointe ; détournement / décalage de formes standards / célébration de l’ingéniosité, de la pauvreté de moyens.
Après l’exubérance des années 80, instaurer un système de valeur basé sur l’économie, la simplicité, la responsabilité.
Expo fondatrice DE 1993
Tejo Remy, Chest of drawers. You can’t lay down your memories/em>, 1991.
Pile de tiroirs récupérés et reliés par une sangle.
Rag Chair
Chaise constituée de chiffons récupérés.
Marcel Wanders, Set up Shade, 1988.
Cinq abat-jours réutilisés pour composer une nouvelle lampe.
Rody Graumans, 85 lampes, 1985
Suspension composée de 85 ampoules avec fils et connectiques nues.
Jurgan Bey, Jan Konings, Foldind Bookcase
Étagère en bois et papier qui se déplie au fur et à mesure que l’on y range des livres.
La qualité du rebut.
Les éléments récupérées et assemblés sont moins choisis pour leurs qualités esthétiques que pour leur inutilité, leur statut marginal de rebuts signe de protestation contre les excès de la société de consommation.
Cette tendance s’enracine et s’institutionnalise rapidement : Production : création de Droog Design (gijs bakker).
Théorie : Renny Ramakers.
Pédagogie : écoles d’art et de design et en particulier la Design Academy d’Eindhoven.
Selon Renny Ramakers, influence d’Alchimia et de Memphis (distorsions sémantiques) tempérées par mentalité hollandaise (pragmatisme, rigueur calviniste, audace mercantile, anti autoritarisme / esprit à la fois « sobre et récalcitrant » + tradition formelle d’abstraction géométrique (De Stijl, Rietveld).
Passage d’un design « super radical » à un design « supernormal » (réintroduction d’un sens de la moralité dans le design).
La réutilisation ne concerne pas seulement les matériaux et les formes mais aussi les idées, la mémoire et les archétypes qui attribuent aux objets une dimension de longévité et les réinscrivent dans l’histoire des individus.
Marcel Wanders, Knotted Chair, 1996
Association de la technique traditionnelle du macramé à des matériaux très technologiques.
Jurgen Bey, Lightshade Lamp (Moooi, 1999)
Réactive le spectre d’une lampe bourgeoise dans une lampe moderne (miroir). La lampe interne apparait quand elle s’allume.
kokon, 1997-1999
Série de meubles recouverts d’une housse élastique (objet étranges parce qu’ils exhalent une sensation de « déjà vu », « déjà vécu », sont comme des fantômes).
Droog Design + KesselsKramer, série Do Create
Une marque vide dont les produits restent à créer à partir d’une action.
Les « consommateurs » sont invités à interagir avec des objets basiques.
Achat d’une expérience.
C’est ce que l’on fait à l’objet ou ce que l’objet vous fait qui compte.
L’utilisateur est poussé à donner forme à un objet par son action.
Le geste destructeur se transforme en geste créateur.
Perter van der Jagt & Franck Tjepkema, Do Break
Vase volontairement dénué de tout ornement.
Personnalisé en faisant précisément ce qui est normalement interdit avec un vase : taper dessus ou le faire tomber. Création de marques et de fissures.
Truc : feuille de caoutchouc à l’intérieur.
Marijn van de Poll, Do Hit
Transformer un cube de métal creux en assise (ou ce qu’on voudra) en tapant dessus à coup de masse (la masse est fournie par le designer).
Un objet avec un défaut
Jurgen Bey, Do Add
Une chaise avec un pied plus court.
On doit chercher un support pour caler la chaise. Une chaise avec une « rallonge » mais déséquilibrée. On doit trouver l’équilibre avec une autre personne. Relation de confiance. Si une des deux personnes se lève, l’équilibre se rompt et la chaise tombe.
Objets déviés / Objet hybride
Thomas Bernstrand, do swing
Objets plutôt ternes, peu attractifs, incomplets état de fragilité, de dépendance, d’attente.
Objets produits en série qui induisent cependant des comportements uniques.
Objets qui ont une biographie.
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Critical design des années 2000
Le Design Critique est théorisé par Anthony Dunne & Fiona Raby au début des années 2000. Il s’inscrit dans la continuité de ce qui précède mais propose une méthodologie spécifique qui fait appel à une systématisation du recours à la fiction, initiée par le design radical.
Entre temps, le contexte a changé. Après l’âge de l’industrialisation, après celle du spectacle et de la communication, c’est l’âge des technologies numériques, des réseaux et de la globalisation => nouvelles contraintes, nouveaux comportements.
L’horizon n’est plus celui des produits et des codes de consommation, mais celui des objets techniques, des interfaces, de l’interactivité.
Dans ce contexte, le design critique inverse les stratégies et les valeurs du design d’interaction alors émergeant. Ce design tend à optimiser les usages des objets techniques et de les standardiser, alors que le Design Critique explore la dysfonction afin de dégager des comportements déviants au fort potentiel esthétique.
Objet technique / objet critique
Transparent / Opaque
Efficace, simple (rassurant) / Complexe, énigmatique (déroutant)
User-friendly / Usage inhabituel .
Aliénation fonctionnelle / Processus de subversion systématique => « para fonctionnalité » (Dunne & Raby)
« PARA-FONCTIONNALITÉ »
« Le terme désigne une forme de design où la fonction est utilisée pour encourager la réflexion sur la manière dont les produits électroniques conditionnent notre comportement. Le préfixe /para/ suggère que ce design reste dans le domaine de l’utilité mais qu’il tend à aller au delà des définitions conventionnelles du fonctionnalisme pour inclure le poétique (…). Il suggère un rôle pour les objets de design où la fonctionnalité peut-être utilisée pour critiquer les limites que les produits imposent à nos actions. »
Le terme de « para-fonctionnalité » renvoie à deux notions développées par Jean Baudrillard dans Le système des objets.
« PSEUDO-FONCTIONNALITÉ » OU LE « MACHIN ».
Critique de la prolifération d’objets inutiles et d’un symptôme de leur dysfonctionnement : la difficulté à les nommer. Un machin est un objet dont on sait qu’il fonctionne mais qui renvoie à une fonctionnalité floue, parfois imaginaire. Le monde des « machins », et donc en grande partie notre monde, est celui des « simulacres fonctionnels ».
Renvoie à la croyance en un monde-machine, où tout problème pratique pourrait être résolu par une machine, existante ou à venir.
« Ce petit hochet qui sert à extirper électriquement les noyaux de fruits ou ce nouvel accessoire d’aspirateur pour faire les dessus d’armoire ne sont peut-être pas foncièrement très pratiques, ce à quoi ils satisfont, c’est à la croyance que, pour tout besoin, il y a un exécutif machinal possible, – que tout problème pratique ( et même psychologique) peut-être prévu, prévenu et résolu d’avance par un objet technique, rationnel, adapté, absolument adapté – mais à quoi ? Aucune importance. L’essentiel est que le monde soit donné comme « opéré » d’avance. (p. 163-164).
« META-FONCTIONNALITÉ » : le robot est un « super machin » OU UN « machin pur ».
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Dunne & Raby
Série Placebo, 2001
Expérimentation qui consiste à sortir des objets de design conceptuel de l’espace de la galerie pour les mettre en situation dans la vie quotidienne.
8 prototypes qui interrogent les attitudes et les expériences des utilisateurs face aux champs electromagnetiques dans la maison.
Objets conçus pour susciter des récits sur la vie secrète des objets électroniques, à la fois factuels et imaginaires.
Ils sont intentionnellement diagrammatiques et vaguement familiers.
Ils sont suffisamment ouverts pour provoquer des récits mais pas assez pour dérouter complètement.
Suspendre l’incrédulité est essentiel.
Trop étranges, les artefacts sont rejetés. Ils doivent correspondre à d’authentiques comportements humains.
Une fois les objets installés chez les gens, ils développent une vie privée, ou au moins dérobées à la vision des humains.
Occasionnellement, on peut entrevoir un peu de cette vie quand les objets interagissent entre eux ou dysfonctionnent.
Approche qui se base sur des récits/faits entendus (les téléphones portables chauffent les oreilles ; les gens ont des fourmis quand ils se trouvent proche d’une télévision ; histoires de gens qui captent les ondes radios par l’intermédiaire de leurs plombages dentaires).
Se fichent de savoir si ces histoires sont vraies, ou si elles ont une légitimité scientifique. S’intéressent aux histoires que les gens racontent pour expliquer leur relation aux objets électroniques.
LOFT
Un lieu pour placer les objets précieux à l’abri des champs magnétiques.
Compass Table
Les champs magnétiques émis par des objets placés sur une table affolent l’aiguille d’une boussole.
Electro-draught Excluder
Le positionnement stratégique de cet appareil aide à dévier / éloigner les champs magnétiques.
electricity drain
En s’asseyant nu sur un tabouret, accumulation de l’électricité drainée par le corps dans la chaise puis hors de la maison (code secret).
GPS table
Un écran sur une table affiche soit le mot « lost » soit ses coordonnées géographiques. Doit être positionnée devant une fenêtre avec une vue sur le ciel.
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Nipple Chair
Des nodules disposés sur le dossier d’une chaise vibrent quand des radiations passent dans le corps de la personne assise. Rappelle que les produits électroniques ont une action qui s’étend au delà de leur limite visible.
Parasite Light
Une lampe qui se nourrit des radiations des produits électroniques de la maison. Ne fonctionne que quand elle est placée dans des champs magnétiques.
Phone table
On donne de bonnes manières au téléphone. La sonnerie est rendue silencieuse quand il est placé dans le tiroir. À la place, la table s’éclaire doucement en vert quand le téléphone sonne.
DESIGN FOR FRAGILE PERSONALITIES IN ANXIOUS TIMES (2004/2005)
Se base sur l’idée que dans le champ du design, les usagers et les consommateurs sont souvent caractérisés de façon simpliste et caricaturale. Cela produit des objets manufacturés qui ne reflètent qu’une vision très réductrice de ce qu’est l’humain.
Développer des objets qui portent et comprennent toute la complexité de l’utilisateur.
Pour cela, le projet se concentre sur des angoisses irrationnelles mais réelles comme la peur de se faire enlever par des extra-terrestres, ou l’extermination nucléaire. Plutôt que de les ignorer (ou de s’en moquer) ou de les amplifier pour créer une paranoïa, ces phobies sont traitées comme si elles étaient parfaitement raisonnables à travers des objets humoristiques (dédramatisent).
Hideaway furniture
Pour les gens qui ont peur d’être enlevé.
Chacun s’ouvre de manière surprenante sans déranger les objets disposés à sa surface.
Oblige son occupant à garder une posture digne, à garder le contrôle, le contraire de la position fœtale.
3 versions.
The Huggable Atomic Mushrooms
Pour les gens qui ont peur de l’extermination nucléaire comme pour le traitement des phobies, expose le sujet graduellement à des tailles différentes.
Technological dreams series
N°.1, Robots, 2007
Texte de présentation du projet : « un jour, dans le futur, les robots feront tout à notre place. C’est un rêve persistant. Dans les années à venir, les robots seront amenés à jouer un rôle significatif dans nos vies quotidiennes – non pas comme des machines intelligentes ou fonctionnelles, ni comme des pseudo formes de vie, mais comme des cohabitants technologiques. Mais comment interagirons nous avec eux ? Quelles nouvelles interdépendances pourraient émerger de ces relations avec les différents niveaux d’intelligence et de capacité des robots ? Ces objets ont pour but de déclencher une discussion sur la nature du comportement des robots vis à vis de nous : serviles, intimes, dépendants, égaux ? »
Robot 1.
Très indépendant. Il vit dans son propre monde, effectue ses tâches seul. Nous n’avons pas vraiment besoin de savoir ce qu’il fait ni s’il le fait bien. Il pourrait, par exemple, s’occuper de faire fonctionner les ordinateurs qui gèrent notre maison.
Il a une particularité : celle de devoir éviter les forts champs magnétiques car ces derniers perturbent son fonctionnement. Quand une télévision ou une radio est allumée, ou qu’un téléphone portable est en activité, il va se placer tout seul dans la zone de la pièce où se trouvent le moins de champs électromagnétique. Comme il est de forme circulaire, son propriétaire peut, s’il le souhaite, placer une chaise en son centre, ou s’y tenir debout, et apprécier le fait que c’est un bon espace où se trouver.
Robot 2.
Dans le futur, les robots ne seront probablement pas conçus pour réaliser une seule tâche. Leur fonction dépendra de comportements et de qualités qui émergeront au fil du temps. Celui-ci est très nerveux, tellement nerveux en fait que, chaque fois que quelqu’un entre dans la pièce, il se tourne vers lui et analyse la personne à l’aide de ses yeux multiples. Si la personne approche trop près de lui, il s’agite à l’extrême, parfois jusqu’à l’hystérie. Il pourrait être fait bon usage de cette névrose pour la sécurité de la maison.a href=”http://www.articule.net/wp-content/uploads/2020/03/rcone.jpg”>
Robot 3.
De plus en plus des données que nous produisons, y compris nos informations les plus intimes et les plus secrètes, seront stockées dans des bases de données numériques. Comment s’assurer que nous seront les seuls à pouvoir y accéder ? Ce robot est une sentinelle, il utilise la technologie du scan rétinien pour donner accès ou non à nos données. Dans les films, les scan d’iris est toujours basé sur un rapide coup d’oeil. Pour être sûr de sa réponse, ce robot nous demande de le fixer longuement dans les yeux. Il questionne également les nouvelles formes de mobilier qui pourraient émerger des développement technologiques futurs.
Robot 4.
Celui-ci est très dépendant. Bien que très intelligent, il est enfermé dans un corps sous-développé et a besoin de son propriétaire pour bouger. La dépendance est associée à un produit très intelligent pour maintenir un sentiment de contrôle.
À l’origine, les fabricants avaient conçu des robots qui parlaient le langage humain, mais ils ont évolué petit à petit vers leur propre langage. On peut encore entendre des traces d’humanité dans leur voix.
Machines énigmatiques qui questionnent des comportements spécifiques.
Déplacent l’axe du design de la fonction instrumentale standardisée vers une mission de catharsis des pulsions et tensions individuelles.
Le design critique rappelle avec ces œuvres que, derrière l’horizon plat et rassurant du consumérisme technologique, se cachent des individualités complexes fragiles, avec leurs défauts et leurs désirs.
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Comment analyser cette approche ?
1. L’étrangeté
2. Le décalage de la fonction vers la fiction
Je commence par le deuxième point : fonction / fiction
On l’a vu la notion de fonctionnalité est détournée pour en faire un outil de questionnement et de débat (« para-fonctionnalité »).
Les fonctionnalités potentielles de ces objets ne doivent pas forcément être utilisés, mais on doit pouvoir imaginer leur usage.
Artifice rhétorique : au lieu de mettre en place des « fonctions fictionnelles » (celles de l’industrie et du marché), le design critique construit des « fictions fonctionnelles ».
=> Met en scène le moment où se joue la relation entre l’homme et l’objet, où l’usage devient comportement (moyens narratifs empruntés à la photographie ou au cinéma).
Objectif : stimuler les échanges et les débats, mesurer ce qui crée l’écart entre la réalité et la fiction => élaboration d’artefacts alternatifs, légèrement provocants, destinés à interpeller le public en suscitant la réflexion, la surprise et l’émerveillement.
Comment ?
Grâce à (la bonne dose) d’« étrangeté ».
Le recours à la fiction impose un écart, une mise à distance où l’usage de l’objet n’est vécu que par procuration. Cette mise à distance est obtenue par l’intégration d’une dose d’étrangeté qu doit être suffisamment inquiétante pour que la distance critique s’installe à l’aune des problématiques sociales et éthiques qu’ils évoquent.
Équilibre de l’étrange : si elles sont trop bizarres, les fictions de valeur (terme expliqué plus loin) seront écartées sur le champ ; si pas assez singulières, elles seront absorbées par le quotidien.
« la suspension de l’incrédulité est essentielle – s’ils sont trop étranges, les artefacts seront rejetés ; ils doivent correspondre à d’authentiques comportements humains. L’approche repose sur un traitement de valeurs comme des matières premières, et sur leur matérialisation sous forme d’objets. Incarner des valeurs singulières sous la forme de produits peut faire du design un puissant outil de critique sociale. L’intérêt des propositions de design décrite par les fictions de valeurs naît de leur fonction et de leur usage potentiels. L’un des principaux défis posés par l’utilisation de ces fictions tient dans leur transmission : nous avons besoin de les voir en action, placées dans la vie quotidienne, tout en laissant place à l’imagination de l’observateur. Nous ne sommes pas nécessairement tenus d’utiliser les les produits proposés : c’est en imaginant leur usage qu’ils ont un effet sur nous. Les fictions de valeurs ne sauraient être trop explicites, car elles risqueraient de se fondre dans ce que nous connaissons déjà. Il est capital qu’elles relèvent d’une légère étrangeté – si elles sont trop bizarres, elles seront écartées sur le champ, si elles ne sont pas assez singulières, elles seront absorbées par la réalité quotidienne. » Antony Dunne & Fiona Raby, Design noir : the secret life of electronic objects, 2001.
« Fictions de valeur » : scénarios qui mettent en scène des technologies réalistes avec des valeurs sociales ou culturelles fictives ou ambigües (inverse de la science-fiction : technologies futuristes + valeurs sociales et culturelles conservatrices).
Les valeurs (concept abstrait qui renvoie, dans les exemples qu’on a vu, à notre relation à la technologie, aux peurs irrationnelles) sont traitées comme des matières premières, sont matérialisées sous forme d’objets autres exemples de « valeurs ».
* Le rapport au temps.
Besoin d’identité et de sens de l’individu au sein d’une culture globalisée.
Ippei Matsumoto, Life Counter, 2001 [Industrial Facility / 2002].
Chacun peut déterminer son espérance de vie estimée ou souhaitée avant de lancer le compte à rebours.
4 régimes de décompte sur 4 faces : années, jours, heures, secondes. Perception différente de l’écoulement du temps (entre le calme et la panique).
La fonction de cet objet n’est pas de décompter le temps qui nous reste à vivre mais de réfléchir à la façon dont nous vivons le temps qui nous reste.
* Le deuil, la mort
Jimmy Loizeau, After Life, 2001
Théâtralisation d’un sujet tabou, le deuil, la mort dans un contexte de mutation sociale induit par les cultures électroniques. Peut on accorder autant d’importance à une batterie qu’à une urne funéraire en céramique ?
Le contenu de l’estomac du défunt est drainé pour fournir l’acide nécessaire au chargement d’une « batterie de l’au-delà » spéciale, gravée comme une pierre tombale. Objet permettant à un athée de faire son deuil. Une fois chargée, la batterie peut fournir de l’énergie pour faire fonctionner toute sorte d’appareils.
Cet objet n’a pas pour fonction de fournir de l’énergie à des appareils mais de réfléchir à notre relation au deuil et à la mort.
* La solitude / la rupture
Noam Toran, Accessories for lonely men, 2001.
Explore des questions de design par les moyens narratifs du cinéma.
Exemple fondateur : One Week, Buster Keaton, 1920.
Le personnage reçoit comme cadeau de mariage une maison en kit mais l’assemble de façon complètement erronée (les portes s’ouvrent sur le vide, la cuisine pivote sur un axe). Toute la structure narrative du film est basée sur le desing absurde de la maison.
Accessories for lonely men questionne les formes physiques d’une relation intime. Sont-elles finalement suffisamment grossières, brutes, sommaires pour pouvoir être imitées par des objets technologiques. Que nous manque-il-vraiment lorsqu’une relation prend fin quelles traces laisse-t-elle derrière elle ?
Collection de 8 « produits »
« sheet stealer »
Enroule les draps autour de lui.
« Silhouette »
Silhouette de femme en carton-pâte. Placée devant une source lumineuse, projette son ombre au mur.
« Hair alarm clock »
Réveil / mèche de cheveu.
« Chest Hair Curler »
Doigt qui joue avec les poils du torse.
« Shared cigarette »
« Plate Thrower »
« Cold Feet »
« Heavy Breather »
La forme abstraite de ces objets signale qu’ils sont destinés à un usage imaginaire.
Quel rapport au monde ? Objets de galerie ? Quel impact dans le monde réel ?
Si l’objet est montré dans une galerie, son rapport à la réalité est dans la fiction. Dans ces projets, les objets ne sont pas présentés dans le cadre neutre d’une boutique ou d’une galerie, mais dans le cadre d’un usage particulier, en prise directe avec un utilisateur singulier.
Mais statut spécifique danger de devenir inopérant dans la critique qu’ils énoncent.
la récurrence de l’étrangeté tisse une deuxième histoire du design, celui qui n’est pas assujetti à l’industrie mais qui la conteste.
Mais encore faut-il qu’une critique par le design demeure possible, qu’elle puisse avoir une effectivité et ne soit pas tout de suite absorbée par le système comme l’ont redouté Tafuri (design radical), Baudrillard ou plus récemment Henry-Pierre Jeudy (<em).</em
Les objets étranges déplacés dans l’univers de la fiction (ou dans celui de l’art), ne risquent ils pas de perdre le contact et l’impact du réel et de devenir de nouvelles incarnations du mythe ?
Car le mythe (Barthes) fonctionne comme un processus de déformation ou d’évaporation par lequel les choses perdent leur qualité historique, sont détournées du réel et donc du social.
L’élision de la fonctionnalité risque donc de déplacer l’objet vers le mythe et rendre la critique impuissante (toujours selon Barthes, la fonction du mythe serait « d’évacuer le réel », comme une « parole dépolitisée ».
Antony Dunne tente de répondre à cette épineuse question en prenant à partie les acteurs du design et de l’éducation :
« les designers se doivent de réfléchir aux modalités à travers lesquelles une telle pensée du design est susceptible de réinvestir la vie quotidienne tout en maintenant l’intégrité critique et l’efficacité de la proposition et en répondant aux accusations de dérive échappatoire, d’utopisme ou de fantaisie. Une telle chose est possible si les professionnels du design prennent davantage de responsabilités sociales et développent leur propre vision, en travaillant avec le public afin d’exiger davantage de l’industrie que ce qu’elle offre actuellement. Cela nécessite non seulement que les designers révisent leur propre position, mais aussi que les organisations et les associations de design professionnelles perçoivent leur rôle différemment. Peut-être pourraient-ils s’inspirer de certaines institutions architecturales et se focaliser sur le besoin d’encourager la diversité des regards à travers des concours et des workshops destinés aux designers, ainsi qu’en essayant en même temps d’impliquer le public à travers des expositions et des publications plus exigeantes. Ce rôle est-il sinon destiné aux designers « académiques » ? Ceux-ci pourraient, au lieu d’écrire des articles et de rechercher une reconnaissance académique conventionnelle, exploiter leur position privilégiée pour tenter de donner un rôle subversif au design en tant que critique sociale. Affranchis de restrictions commerciales et opérant dans le domaine de l’éducation, ils seraient en mesure d’élaborer des propositions de design stimulantes afin de remettre en question la vision hollywoodienne simpliste de l’industrie de l’électronique de consommation. Les propositions de design pourraient faire office de medium pour encourager les débats et les échanges entre le public, les designers et l’industrie. Le défi consiste à brouiller les frontières entre la réalité et la fiction, de sorte que le conceptuel acquière davantage de réalité, et que le réel soit simplement considéré comme une possibilité limitée parmi tant d’autres. »
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« Quand quelqu’un cherche à définir la fonction d’un objet, elle lui échappe des mains, parce que la fonction est la vie même. La fonction n’est pas une vis de plus ou une mesure de moins. La fonction est la possibilité finale du rapport entre un objet et la vie. » Ettore Sottsass, in barbara radice, Memphis, p.143.
Document lié : Anthony Dunne & Fiona Raby, « Le design comme critique » traduit par Marc Monjou de Speculative Everything. Design, Fiction, and Social Dreaming, chap. III, « Design as critic», MIT Press, 2013, p. 33–46.