traduction de Victor Margolin, World History of Design, T2, « The Bauhaus in Dessau and Berlin », Bloomsbury, 2015, p. 49-58.
Les années Gropius
À Weimar, la cathédrale était la typologie de bâtiment qui avait donné son cadre à l’organisation des ateliers, mais à Dessau, c’était vers la maison moderne que se dirigeaient les productions. “L’objectif du Bauhaus est de se mettre au service du développement de l’habitat contemporain” écrivait Gropius en 1926, “depuis les équipements ménagers les plus simples jusqu’à la construction de la maison”. Pour parvenir à ses fins, il définit les ateliers comme “des laboratoires dans lesquels des prototypes de produits adaptés à la production de masse et caractéristiques de notre temps sont soigneusement mis au point et constamment améliorés”.
Le nombre d’ateliers à Dessau fut réduit. L’atelier de poterie resta à Weimar et l’atelier de vitraux, dont il était difficile de sortir des objets produits en série, ne fut pas réouvert. Certains enseignants de Weimar trouvèrent du travail ailleurs, ce qui conduisit Gropius à nommer plusieurs anciens étudiants à la tête d’ateliers. Parmi eux, Marcel Breuer (1902-1981), pris la tête de l’atelier bois, Gunta Stötzl (1897-1983) devint l’assistante de Georg Muche à l’atelier tissage ; Herbert Bayer (1900-1985) transforma l’atelier d’imprimerie en un atelier de de publicité, de scénographie d’exposition et de typographie ; et Hinnerk Scheper (1897-1957) pris en charge l’atelier de peinture murale. Moholy-Nagy et son ancien étudiant Joseph Albers (1888-1976) se partagèrent le cours préliminaire et Moholy continua à diriger l’atelier métal, jusqu’à sa démission en 1928. En 1927, Gropius engagea l’architecte suisse Hannes Meyer (1889-1954) pour créer et diriger un département d’architecture, le premier dans la courte histoire de l’école. Oskar Schlemmer continua à recevoir le soutien de l’école pour son atelier théâtre comme complément au programme d’architecture, même si ce dernier n’était pas directement impliqué dans l’orientation industrielle de l’école.
Comme pour la Maison Sommerfeld et la Maison am Horn, Gropius impliqua tous les ateliers dans l’équipement et l’ameublement du bâtiment du Bauhaus dont la construction fut financée par la ville de Dessau et qui fut achevé en 1926. La plan du bâtiment illustrait parfaitement le nouveau rationalisme du mouvement moderne encore balbutiant. Les fonctions étaient réparties dans des ailes différentes, connectées par des couloirs ou des passerelles. Gropius préserva le sens de la communauté originel de l’école en incorporant toutes ces fonctions au sein d’un même bâtiment — le dortoir des étudiants, la cantine, l’auditorium, le gymnase, et, derrière sa surface vitrée, l’aire des ateliers.
Bauhaus Dessau Fondation, Margret Kentgens-Craig, The Dessau Bauhaus Building, 1926-1999, Birkhaüser, 1998.
La plupart du travail d’aménagement intérieur a été réalisé par l’atelier bois. Breuer a conçu à cette occasion une gamme de chaises et de tables fabriquées avec des cadres en acier chromé. Cette gamme comprenait les chaises de l’auditorium — dont les assises et les dossiers étaient en tissu et en acier poli — ainsi que les tables et les chaises de la cantine. Parmi les autres mobiliers du bâtiment, on trouve la lampe à tubes fluorescents produite pour l’auditorium dans l’atelier métal de Moholy-Nagy. Hinnerk Scheper a crée le code couleur des murs, Herbert Bayer dessina les gigantesques lettres formant le mot “Bauhaus” qui furent accrochées à l’extérieur du bâtiment.
Voir Robin Krause, « Marcel Breuer’s early tubulaire steel furniture. On furnishing the Bauhaus building », Bauhaus Dessau Fondation, Margret Kentgens-Craig, The Dessau Bauhaus Building, 1926-1999, Birkhaüser, 1998, p. 28-41.
L’un des objets les plus marquants des débuts de la période de Dessau est la chaise Wassily dessinée par Marcel Breuer en 1925. Fabriquée avec un cadre en acier tubulaire nickelé, le tissu de son assise et de son dossier fut plus tard remplacé par du cuir. On raconte que Breuer fut inspiré par l’acier tubulaire des guidons de bicyclette. Il appela cette chaise Wassily parce qu’il l’avait conçue pour la maison de son collègue, le peintre Wassily Kandinsky. Cette chaise ne venant pas directement des ateliers du Bauhaus, Breuer chercha à la commercialiser lui-même, en fondant la Standard-Möbel, avec un associé à Berlin.
En 1926 ou 1927, Marcel Breuer et Hajnal Lengyel créèrent Standard Möbel à Berlin, pour fabriquer et vendre leurs meubles en acier tubulaire. La plupart de la vingtaine de modèles crées sont attribués à Marcel Breuer, dont la chaise B3 mais Lengyel en a dessiné quelques-uns. Les pièces étaient vendues sous le nom de Stahlrohrmöbel System Breuer et Breuer Metallmöbel. Un peu plus tard, un catalogue les désignera sous le nom de Das neue Möbel. Une brochure conçue par Herbert Bayer présentait l'ensemble des modèles. En 1927, Anton Lorenz pris la direction de la société et vendit la Standard Möbel et tous ses droits de fabrication à Thonet en 1929. Breuer continua à travailler avec Thonet sur de nouveaux modèles en acier tubulaires mais Lengyel créa sa propre entreprise, Standard-Möbel, Lengyel & Company, en 1929. Aujourd'hui, Thonet, Knoll, et Tecta produisent encore des modèles originaux de la Standard Möbel.
[source : Vitra Design Museum]
[Source : V&A Museum]
[Source : MoMA]
Avec des fonds apportés par le négociant en bois Adolf Sommerfeld, le Bauhaus monta une société pour faire connaître ses créations à l’industrie. Parmi les produits crées à l’école qui connurent le plus de succès sous la direction de Gropius, figure les lampes conçues par Marianne Brandt et d’autres étudiants de l’atelier métal. Cette direction prise par l’école, qui l’éloigna du modèle artisanal au départ visé par Gropius, est en grande partie à mettre au crédit de Moholy-Nagy. La société Körting & Matthiessen, implantée à Liepzig, produisit la célèbre lampe de chevet Kandem de Marianne Brandt. Elle sortit sur le marché avec deux hauteurs de pied, et comme beaucoup de lampes qui lui succédèrent, possédait un joint pivotant entre l’abat-jour et le pied qui permettait de modifier l’angle d’éclairage. Toutes les lampes produites dans l’atelier métal — les suspensions à abat-jour métallique, les plafonniers avec un globe en verre dépoli, les appliques murales à bras articulé — avaient des formes nettes et sans ornement. L’une des idées les plus innovantes consista en des luminaires constitués de cercle de verre peu profonds directement fixés au plafond. Presque tous ces prototypes ont été mis sur le marché par différentes sociétés dans différentes régions d’Allemagne.
[Source : Bauhaus-Archiv online Collection]
En proie à des différends avec des étudiants, Muche démissionna de l’atelier de tissage début 1927 et fut remplacé par Gunta Stötzl qui laissa les étudiants commencer à expérimenter la fabrication de nouveaux tissus pour la production machinique, ce qui gagna rapidement l’attention de l’industrie textile. Les plus grands fabricants de tissus achetèrent des motifs au Bauhaus, qui furent rapidement adoptés par le public. Des résultats particulièrement significatifs furent atteint dans le domaine de la production de couverture de livres et de tissu d’ameublement. Les nouveaux designs textiles furent complétés par l’approche innovante de Hinnerk Scheper en matière de décoration murale. Scheper aimait recouvrir les murs de grands aplats de couleurs différentes. Il choisissait également de préférence pour ses papiers-peints soit des couleurs unies soit des motifs discrets pour, selon lui, ne pas entrer en concurrence avec l’architecture.
Herbert Bayer transforma l’atelier d’imprimerie en un studio moderne de conception d’affiches, de stands et brochures publicitaires. Il était également en charge du design de tous les graphismes promotionnels du bauhaus comme le papier à lettre, les brochures et les programmes. L’organisation nette de ses pages, l’usage des espaces blancs et sa préférence pour une police sans serif était inspirée des principes de la Nouvelle Typographie (New Typography) énoncés par Moholy-Nagy dans le catalogue du Bauhaus de 1923 et que le typographe Jan Tschichold avait commencé à codifier dans un numéro spécial du magazine allemand Typographische Mitteilungen en octobre 1925. Bayer adhérait également à l’opinion du Dr. Walter Portsmann, un ingénieur qui affirmait dans son livre Sprach und Schrift, paru en 1920, que les lettres capitales étaient inutiles. Bayer commença à utiliser les “kleinschreibung” ou à écrire en lettres minuscules afin de répondre à la nécessité de clarté dans la communication que Moholy-Nagy avait aussi mis en avant dans son article du catalogue du Bauhaus de 1923.
Voir Laszlo Moholy-Nagy, Modern Typography, Aims, Practice, Criticism, article écrit en 1924 et paru dans le périodique allemand Offset, Buch und Werbekunst, n°7, 1926, in Hans M. Wingler, The Bauhaus, Weimar, Dessau, Berlin, Chicago, The MIT Press, 1978 [https://archive.org/details/bauhaus0000unse_h0c2/page/n5/mode/2up] (traduction de l’édition originale en allemand de 1962).
L’intérêt de Bayer pour l’efficacité est le socle sur lequel repose sa conception d’un alphabet qu’il appela “universel”, qui ne possédait pas de lettres capitales. Dans l’esprit de la modernité, Bayer rejetait la tradition des alphabets romans et dessinait à la place ses propres lettres à partir de formes élémentaires, notamment des cercles et des arcs. Bien que cela créait une certaine unité entre les lettres basées sur des formes similaires, les autres restaient en dehors du système, produisant un alphabet qui n’avait pas l’homogénéité qui caractérise traditionnellement la qualité typographique.
L’alphabet de Bayer n’a été adopté par aucune fonderie, son rôle fut donc davantage polémique que fonctionnel. D’autres personnes au Bauhaus, expérimentaient également les alphabets modulaires. Le kombinationschrift de Joseph Albers comprenait dix formes modulaires. C’était une expérimentation intéressante mais qui n’avait aucune application pratique puisqu’un compositeur aurait dû construire ses lettres à partir d’éléments modulaires plutôt qu’utiliser des lettres déjà formées pour composer une ligne de caractères.
[Source : https://www.moma.org/collection/works/2724]
Avant que le Bauhaus ne s’installe à Dessau, Gropius demanda à Moholy-Nagy de co-éditer une collection d’ouvrages [Bauhausbücher] dans lesquels seraient publiés le travail effectué au Bauhaus, les textes de ses professeurs et la synthèse des principaux mouvements modernes en art et architecture. Le premier ouvrage paru en 1925 et, jusqu’à ce que la série se termine en 1929, 14 livres furent publiés sur les 50 qui avaient été initialement prévus. Parmi les livres publiés figurent Pedagogical Sketchbook de Paul Klee, Point et Ligne sur Plan de Wassily Kandinsky, Le monde sans objet de Kasimir Malevitch et Peinture, photographie, film de Moholy-Nagy. Ce dernier a réalisé la mise en page de la plupart des ouvrages selon les principes de la Nouvelle Typographie qu’il défendait. Il organisa les couvertures avec de solides éléments géométriques et, dans certains cas, utilisa des photographies ou des photogrammes. L’esthétique des projets de Moholy-Nagy étaient directement issus de ses propres peintures constructivistes et bien qu’ils fussent parfois un peu lourds, le graphisme des livres du Bauhaus contrastaient vivement avec les conventions éditoriales, en particulier les couvertures, qui dominaient en Allemagne à cette époque. Les livres du Bauhaus ont largement contribué à faire connaître l’école, au même titre que les photographies du projet du Bauhaus et de la vie de l’école qui circulaient abondamment dans les revues. Beaucoup de ces photographies étaient celles de Lucia, la première femme de Moholy-Nagy, qui documenta activement les événements de l’école pendant que son mari y enseignait.
Au début de 1928, Gropius décida de démissionner, probablement parce qu’il souhaitait consacrer plus de temps à sa pratique de l’architecture mais aussi par qu’il avait dépensé beaucoup d’énergie à défendre l’école contre les critiques qu’elle reçevait. Il quitta cependant l’école en position de force. Les équipements étaient excellents et l’école avait commencé à accroître ses contacts avec l’industrie conformément à ses premières aspirations. Bayer, Moholy-Nagy et Breuer démissionnèrent en même temps que lui, laissant à l’école un vide considérable à combler.
Les années Meyer
Le nouveau directeur était Hannes Meyer, l’architecte suisse que Gropius avait engagé en 1927 pour diriger le département d’architecture. Meyer n’aurait pas pu être plus différent de Gropius. Il se situait politiquement très à gauche du socialisme modéré de Gropius et défendait une approche rationnelle de l’architecture davantage basée sur des recherches sociologiques et économiques que sur ses aspects formels et fonctionnels. Sous la direction de Meyer, le département d’architecture a travaillé sur un des principaux projets de Gropius à Dessau, le lotissement Törten, construit avec des éléments standardisés. Malgré quelques problèmes de construction, le projet ouvrit la voie à la mise au point de nouvelles méthodes efficaces et à bas coûts qui commencèrent à se répandre progressivement dans l’industrie du bâtiment allemande.
Bien que l’approche scientifique et technologique de Meyer, ainsi que son positionnement politique à l’extrême gauche, nourrissait des antagonismes de la part de ses collègues et de certains étudiants, ses contributions pour le Bauhaus sont nombreuses et reconnues. D’abord, Meyer fit venir de nombreux professeurs en science, ingénierie et sciences sociales pour aborder des questions théoriques qui eurent de l’influence sur le programme d’enseignement. Ensuite, il modifia l’approche de l’atelier bois, qui, fusionné à l’atelier métal, se consacra à la production de mobilier bon marché destiné à la classe ouvrière. Ce mobilier est bien moins connu que les icônes du mobilier moderne que sont le fauteuil Wassily et la chaise Cesca en porte-à-faux de Breuer. Principalement fabriqué en bois, il comprend une table et une chaise pliante conçue par Gustav Hassenpflug (1907-1997), une chaise composée d’éléments modulaires dessinée par Josef Albers et une chaise pliante en acier tubulaire et contreplaqué créée par Hin Bredendieck (1904-1995).
Meyer fit connaître cette approche populaire de la conception de mobilier dans différentes expositions, d’abord à Liepzig en 1929, où on pouvait voir la salle à manger, la chambre et la cuisine d’un appartement populaire du Bauhaus, puis l’année suivante à Moscou, dans une exposition qui synthétisait les réalisations du Bauhaus entre 1928 et 1930.
Sous la direction de Meyer, Joost Schmidt, un ancien étudiant du Bauhaus qui dirigeait l’atelier sculpture, remplaça Bayer dans l’atelier de communication et de typographie. Schmidt mit en place avec succès une méthode pédagogique pour enseigner aux étudiants les fondamentaux du graphisme et de la scénographie d’exposition. Son département conçut les stands d’exposition de l’usine d’aéronautique Junkers à Dessau et signa un contrat pour réaliser toutes les publicités de presse de l’importante usine chimique I. G. Farben.
L’atelier de communication et de publicité de Schmidt s’appuyait sur un nouvel atelier de photographie crée en 1929. Ce dernier était dirigé par Walter Pederhans (1897-1960), qui était portraitiste et photographe industriel avant d’arriver au Bauhaus, et qui se spécialisa dans les prises de vues en gros plan d’objets, approche qui se prêtait tout particulièrement à la photographie publicitaire. Le plus grand succès commercial de Meyer furent les papiers-peints qui étaient dessinés dans l’atelier de peinture murale sous la supervision de Hinerk Scheper. Commandés par le fabricant de papiers-peints Emil Rasch, leurs textures et motifs subtils et discrets n’étaient semblables à rien d’autre sur le marché et quatre millions et demi de rouleaux furent écoulés sur le marché rien que la première année.
Alors qu’il était directeur, Gropius avait cherché à maintenir le Bauhaus dans une position politiquement neutre. Meyer autorisa en revanche la formation d’une cellule communiste dans l’école, tout en liant des liens plus étroits avec ses homologues à Moscou. Vers 1930, ses activités politiques menèrent la municipalité de Dessau à demander sa démission. Meyer emmena avec lui quelques étudiants en Union Soviétique où, sous le nom de la Brigade du Bauhaus, il cherchèrent à se faire engager dans l’ambitieux programme du premier plan quinquennal de Staline.
Les années Mies
Meyer fut remplacé par l’architecte Mies van der Rohe (1886-1969) qui donna à l’école son orientation définitive vers l’architecture. En 1932, il fusionna les ateliers mobilier, métal et peinture murale en un seul département de design d’intérieur, dirigé par l’architecte d’intérieur Lilly Reich (1885-1947), qui était aussi en charge de l’atelier de tissage.
Mies divisa l’école en deux grandes parties : architecture et design d’intérieur. Il s’intéressa principalement à la conception d’habitat pour une seule famille, ce qui représentait un tournant majeur par rapport à l’approche sociale de Meyer. Les travaux de l’atelier de design d’intérieur, que dirigea d’abord Alfred Arndt (1896-1976) avant Lilly Reich, se consacraient essentiellement à du mobilier pour la maison accessible à un prix raisonnable. Les étudiants apprenaient à faire des dessins techniques précis et plusieurs remportèrent des prix au concours de mobilier standardisés pour la maison organisé par le Werkbund en 1931. Fin 1932, le conseil municipal de Dessau, qui comptait désormais parmi ses rangs de nombreux nazis, ferma le Bauhaus. Mies déménagea l’école à Berlin, où elle occupa brièvement les bâtiments laissés vacants d’une usine de téléphone, jusqu’à sa fermeture en août 1933. Les valeurs du Bauhaus, qu’elles soient socialistes, communistes ou simplement moderniste, n’étaient clairement pas celles du régime nazi.
Autres écoles de Design
En dépit de tous ses accomplissements, le Bauhaus ne s’engagea seulement que dans un segment très limité de la production industrielle moderne qui émergeait alors en Europe. Ses limitations étaient issues de l’accent initial porté sur l’architecture et ses arts davantage que sur un éventail plus large de produits industriels comprenant par exemple les automobiles, les avions, les radios, et autres biens de consommation qui formaient une part croissante de la culture industrielle allemande. Mais les contraintes du Bauhaus étaient d’une manière générale caractéristiques de celles des autres écoles d’art appliqués en Allemagne dans les années 20. Christian Dell (1893-1974), qui avait été instructeur technique dans l’atelier métal du Bauhaus, dirigea un programme comparable à Frankfort et l’académie des arts de Stuttgart, dirigée par Bernhard Pankok (1872-1943), un ex designer du Jugendstil, développa d’importants programmes d’enseignement dans le design de mobilier et la typographie.
L’école la plus proche du Bauhaus était la Burg Giebichenstein de Halle. Elle avait été créée en 1915 par l’architecte Paul Thiersch (1879-1928), qui avec pour point de mire les idéaux du Werkbund, avait mis en place un solide programme d’enseignement artistique et des ateliers périphériques qui pouvaient produire des prototypes pour l’industrie. Quand le Bauhaus déménagea de Weimar à Dessau, Gerhard Marcks, qui avait dirigé l’atelier de poterie de Weimar, rejoignit la Burg Giebichenstein avant d’en devenir le directeur en 1928. Entre 1925 et 1930, toujours à la l’école de Halle, Marcks et Wilhelm Wagenfeld dessinèrent le célèbre percolateur Sintrax pour la Jena Glass Company.
Plusieurs anciens étudiants du Bauhaus — Benita Otte (1892-1976), Erich Dieckmann (1896-1944) et Marguerite Friedlander-Wildenhain — rejoignirent Marcks à la Burg Giebichenstein. Otte prit en charge l’atelier de tissage, où son cours était plus ouvert à l’expérimentation que celui du Bauhaus, de plus en plus engagé sur la voie de la production industrielle. Dieckmann, à la tête de l’atelier de meubles, conçut des meubles en bois et des meubles en porte-à-faux en acier. Dans le domaine de la céramique, Marguerite Friedlander-Wildenhain connu un grand succès avec son service Halle, conçu pour la Staatliche Porzellan-Manufaktur de Berlin, pendant que l’un des meilleurs diplômés de l’atelier métal, Wolfgang Tümpel (1903-1978), trouvait la notoriété comme fabricant de lampes, de bols, de théières et autres objets en métal.
Parallèlement aux écoles d’arts appliqués de Frankfort, Stuttgart, Halle et ailleurs, plusieurs écoles d’art privées proposaient de bons programmes d’enseignement artistique. Parmi les plus importantes, on compte la Itten-Schule et la Riemann-Schule. En 1926, Johannes Itten, qui avait quitté le Bauhaus en 1923, ouvrit sa propre école à Berlin. Elle proposait un enseignement artistique fondamental pour aspirants artistes, architectes, photographes, graphistes, designers. Parmi les professeurs se trouvait Georg Muche, qui avait assisté Itten dans son cours préparatoire du Bauhaus avant d’y diriger l’atelier de tissage. D’autres anciens étudiants du Bauhaus y étaient aussi enseignants, Gyulia Pap (1899-1983), qui avait étudié dans l’atelier métal dirigé par Moholy-Nagy, et Umbo (alias Otto Umbehr) (1902-1980), qui devint un photo-journaliste célèbre. Lucia Moholy (1894-1989), première femme de Moholy-Nagy, y enseigna aussi la photographie. Le programme se composait de cours basés sur le cours préliminaire que Itten donnait au Bauhaus. Le matin, les étudiants suivaient une séance de gymnastique qui comprenait aussi des chants pour harmoniser le corps et l’esprit. Itten prit également contact avec plusieurs artistes japonais et, vers 1932, l’école proposait des cours de peinture japonaise.
La Riemann-Schule fut également créée à Berlin, par Albert et Klara Riemann en 1902. Elle proposait des cours de pratique des arts, dont la mode, l’affiche, le métal, la scénographie, le textile, le film d’animation et la photographie de portrait. L’une de ses spécialités était la conception de vitrines, qui atteint un haut degré de raffinement pendant les années Weimar. Vers la fin des années 20, près de 1 000 étudiants, dont beaucoup d’étrangers, étudiaient à l’école chaque année. La Riemann-Schule n’étaient pas issue de l’artisanat comme l’était le Bauhaus et d’autres écoles d’arts appliqués. Elle développait par conséquent de nombreux programmes qui ne faisaient pas partie des programmes traditionnels de l’enseignement artistique. Elle était cependant très proche du Werkbund et les projets des étudiants étaient régulièrement publiés dans l’annuaire annuel du Werkbund.